Les chats sont-ils jaloux ? C’est une question que se posent de nombreuses propriétaires, lorsque leur compagnon se montre agressif envers de nouveaux venus, fait le dos rond, hérisse ses poils voire parfois urine dans leurs affaires.
S’il est vrai que ces signes laissent à penser que le petit félin possède une nature possessive, voire jalouse, ne s’agit-il pas là d’anthropomorphisme ? Son comportement est-il réellement le reflet d’un sentiment de jalousie ? N’est-ce pas juste une question de territoire ou de changement d’habitude ?
La jalousie est une émotion humaine complexe trahissant la peur de perdre un objet, un avantage ou un lien affectif auquel on accorde une importance particulière. Elle se manifeste généralement par de l’agressivité envers l’être qui semble convoiter ce que l’on possède. Elle est parfois confondue avec l’envie, qui trahit le désir d’obtenir quelque chose que l’on n’a pas.
La jalousie est connue de tous les êtres humains, puisqu’elle fait partie de leur palette de comportements. Dans la classification des émotions proposée par le psychologue Paul Ekman, elle est considérée comme une émotion secondaire liée fortement à d’autres émotions dites primaires telles que la peur, la colère ou la frustration.
Les recherches scientifiques - et notamment neurobiologiques - menées principalement depuis le début du 21ème siècle ont permis de mieux comprendre les capacités cognitives des animaux. Il est désormais prouvé qu’ils ressentent eux aussi des émotions, mais on constate certaines différences avec l’Homme.
Les grands mammifères peuvent tous ressentir des émotions dites primaires telles que la joie, la colère, la peur, la tristesse, la surprise ou le dégoût. Comme chez l’être humain, elles permettent de répondre à des stimuli de manière immédiate ; elles sont instinctives et s’expriment sur le moment même. Leur fonction principale est d’aider l’animal à s’adapter à son environnement et à y survivre ; sans elles, il serait condamné.
Les émotions dites secondaires (le plaisir, la culpabilité, l’embarras, la honte, la jalousie…) sont plus complexes dans le sens où elles nécessitent une véritable réflexion mentale, contrairement aux émotions primaires. Chez un humain, elles sont apprises et définies par la culture, l’environnement et les interactions avec les autres. Pour cette raison, elles ne sont pas toutes perçues de la même manière dans tous les pays : par exemple, une situation peut être considérée comme humiliante dans une culture et ne pas avoir cette connotation dans une autre.
De nombreuses recherches ont été menées afin de déterminer si les animaux sont capables d’éprouver des émotions secondaires. Le comportement du chien en particulier a beaucoup intéressé les chercheurs, mais l’impossibilité d’accéder à la construction interne de sa pensée ne permet pas d’aboutir à une conclusion définitive. La question reste donc entière.
En revanche, il est établi que les animaux - et notamment les chats - éprouvent certains sentiments, comme l’attachement vis-à-vis d’une personne, d’un autre animal, d’un lieu ou d’un type de nourriture, et que cela les amène parfois à montrer des signes de possession. Peuvent-ils pour autant être jaloux ?
Si le chat adopte parfois des comportements faisant penser à de la jalousie, les raisons n’en sont pas parfaitement claires, puisqu’il est difficile aujourd’hui encore de comprendre exactement comment fonctionne sa pensée. Les chercheurs ont donc émis plusieurs hypothèses au sujet des causes de la jalousie supposée du chat.
La jalousie est liée fortement à la peur de perdre et au désir de possession, des sentiments qui ne semblent pas exister chez le chat. Par exemple, il est normal pour une chatte de s’accoupler avec plusieurs mâles différents au cours de son existence, y compris lors d’un même cycle œstral. Elle peut donc, au sein d’une même portée, donner naissance à des chatons de plusieurs pères. Quant au mâle, il retourne à son quotidien une fois l’acte effectué, sans se préoccuper aucunement du devenir de sa partenaire ou de ses futurs petits.
Le fait que le chat ne soit manifestement pas possessif ne veut pas dire pour autant qu’il ne peut pas adopter des comportements agressifs ou qui semblent possessifs : simplement, ces réactions ont vraisemblablement une explication autre que la jalousie. Dans le cas d’un nouveau conjoint qui intègre le foyer, il pourrait par exemple voir l’arrivée de cet intrus comme une menace pour la relation qu’il entretient avec son maître, cette personne qui le nourrit et lui prodigue de l’affection : il chercherait alors tout simplement à protéger ses ressources. Cela étant, ce genre de raisonnement est peut-être là encore trop humain pour être parfaitement applicable aux animaux en général, et au chat en particulier, dont il est communément admis qu’il est d’un naturel plutôt indépendant.
Une autre hypothèse parfois avancée pour expliquer un comportement qui ressemble à la jalousie est que le chat défend simplement son territoire.
Il faut dire que les félins en général sont des animaux territoriaux : ils sont attachés à leur domaine vital, celui où ils trouvent toutes les ressources nécessaires à la satisfaction de leurs besoins vitaux. Ils y apposent des marques de griffes, urinent, défèquent et y laissent leur odeur : autant de moyens de prévenir les autres animaux qu’ils vivent dans les parages, s’y nourrissent et y dorment.
Pour un chat domestique, le même constat semble s’appliquer. Si un nouvel arrivant arrive dans ce domaine vital (l’appartement, la maison, le jardin…), l’accès à ses ressources est potentiellement menacé. Il peut alors montrer des signes d’agressivité qui sont parfois interprétés comme de la jalousie.
Les limites des hypothèses précédentes amènent à un autre postulat a priori plus plausible, qui est que le chat est attaché à sa routine et très sensible à toute modification de son environnement.
Or, l’arrivée d’une nouvelle personne dans un foyer, que ce soit un partenaire, un enfant ou un autre animal, est forcément synonyme de bouleversements : les habitudes évoluent, le maître ou la maîtresse met d’autres horaires en place, il ou elle est moins disponible, le logement est plus bruyant qu’auparavant, la gamelle est déplacée... Pire, les endroits où l’animal aimait se reposer peuvent se réduire, voire disparaître.
Un changement d’habitude provoque de l’anxiété chez le chat, qui adopte donc des comportements indésirables en réaction. Par exemple, il peut montrer de l’agressivité à l’encontre du nouvel arrivant, ou uriner dans ses affaires afin de masquer son odeur - qu’il associe à ces bouleversements - en la « recouvrant » de la sienne. Il peut aussi juste essayer de communiquer avec son maître ou sa maîtresse pour lui manifester son mécontentement.
De prochaines études permettront peut-être de déceler la présence d’émotions secondaires chez le chat, dont la jalousie. En attendant, l’hypothèse la plus plausible à ce jour est qu’il n’est pas réellement jaloux, mais qu’il réagit de manière excessive à une altération de son quotidien.
Si ce qu’on considère comme de la « jalousie » de la part du chat est bien la manifestation de son envie de préserver sa routine, alors toute situation entraînant un bouleversement de sa vie quotidienne est susceptible de déclencher chez lui un comportement jaloux.
Ainsi, l’arrivée d’un nouveau-né dans la famille, l’emménagement d’un conjoint ou l’adoption d’un nouvel animal de compagnie sont autant d’exemples de changements majeurs qui perturbent son environnement et sont donc susceptibles d’entraîner cette réaction.
Toutes les races semblent capables d’adopter un comportement faisant penser à de la jalousie. Toutefois, certaines comme le Siamois sont connues pour être plus attachées que d’autres à leur domaine vital ainsi qu’à leur maître, et sont donc prédisposées à ce genre de problèmes.
Cela dit, dans ce domaine comme dans de nombreux autres, la race ne fait pas tout : même au sein d’une race donnée, de grandes différences de caractère sont possibles d’un individu à l’autre.
De manière générale, plus un animal est heureux et épanoui dans son quotidien, moins il se sent « menacé » par un changement, et donc moins il a de risques de devenir jaloux. Par exemple, les chats qui ont le plus besoin de donner et recevoir de l’affection sont les plus susceptibles d’être affectés par le fait de devoir partager l’attention de leur maître avec un nouveau venu. Dans le même ordre d’idées, un chat qui a besoin de beaucoup d’espace mais voit déjà son territoire cantonné aux quatre murs d’un petit appartement a toutes les chances de plus mal réagir qu’un autre qui vit dans un grand logement et dispose d’un accès libre au dehors.
L’âge semble aussi influencer la capacité d’un chat à accepter la présence d’un nouvel arrivant, et plus largement le changement : toutes choses égales par ailleurs, un chaton est plus malléable et s’adapte plus facilement qu’un sujet âgé.
Enfin, le mode de vie est également déterminant. Un individu qui aurait passé toute sa vie dans le même logement seul avec son propriétaire, et donc habitué à recevoir toute l’attention de ce dernier, a toutes les chances d’être perturbé par l’arrivée d’un nouvel habitant voire un déménagement du fait de l’installation en couple de son maître.
Quand bien même le chat ne serait pas capable d’éprouver réellement de la jalousie au même titre qu’un être humain, il adopte tout de même divers comportements qui ne sont pas sans rappeler ceux d’une personne jalouse.
Le chat peut se mettre à suivre son maître partout, lui traîner dans les jambes, s’assoir ou grimper sur lui dès qu’il en a l’occasion.
S’il est mis à l’écart parce qu’il est trop collant, s’il est isolé dans une pièce ou si personne ne s’occupe de lui, il miaule régulièrement en émettant des sons aigus et lancinants pour attirer l’attention.
Le chat peut se mettre à uriner dans divers endroits pour manifester son trouble. Il le fait souvent dans des endroits bien visibles, tels la salle de bain, la cuisine ou même le dessus du lit de son maître.
Son objectif est de manifester sa présence, comme lorsqu’il adopte un comportement envahissant.
Le chat peut devenir agressif envers un nouvel arrivant ou un éventuel intrus en grognant, montrant les dents, voire cherchant à griffer.
Il peut aussi s’en prendre à son maître ou aux membres de sa famille.
Si certains chats manifestent leur mécontentement de manière ostentatoire, d’autres ont plutôt tendance à s’isoler et à se morfondre dans leur coin. Certains vont jusqu’à quitter le domicile.
Un petit félin qui est perturbé peut montrer des signes d’apathie : rester couché une bonne partie du temps, dormir plus qu’à l’accoutumée, ne manifester aucune envie de jouer, se traîner pour aller manger.
Il y a alors tout lieu de s’alarmer, car un chat en dépression souffre d’un mal-être profond : il dépérit lentement et finit par se laisser mourir.
Les solutions pour répondre au comportement perturbé d’un chat « jaloux » sont simples et accessibles, mais dépendent de l’origine du problème.
En premier lieu, il faut donc identifier cette dernière, en analysant les différents changements récents survenus dans l’environnement de l’animal, et plus largement dans son quotidien. Si l’on compare ce dernier à qu’il vivait avant l’apparition des premiers signes, y a-t-il eu des changements majeurs ? Peut-il aller dans les mêmes endroits qu’auparavant ? Reçoit-il autant d’attention ? Son besoin de calme ou d’intimité est-il autant satisfait ?
En fonction des réponses à ces questions, le maître a différentes manières de réagir pour faire cesser la « jalousie » de son chat :
Dans tous les cas, il est essentiel de garder à l’esprit qu’il est inutile voire contre-productif de punir son chat pour sa jalousie. En effet, les mauvais comportements qu’il adopte ne sont que la manifestation de l’anxiété qu’il ressent à cause de ces changements de routine. Plutôt que de répondre par des sanctions qui ne feraient qu’accentuer le mal-être de son compagnon, le maître doit plutôt prendre conscience de sa part de responsabilité dans cette situation et mettre en place des solutions pour régler rapidement le problème.
Lorsqu’on constate des signes de jalousie chez son chat, il n’est pas trop tard pour agir et rectifier le tir. Néanmoins, l’idéal est bien sûr d’éviter que la situation se présente : quelques mesures simples permettent de réduire fortement la probabilité d’apparition de comportements assimilables à de la jalousie.
Le chat est sensible à tout changement de routine : c’est d’ailleurs probablement ce qui déclenche son comportement perçu comme de la jalousie.
Or, qu’il s’agisse d’un humain ou d’un autre animal, une nouvelle arrivée dans le foyer implique très souvent des changements importants. Par exemple, un nouveau conjoint peut être réfractaire à l’idée de le laisser dormir dans le lit ou grimper sur la table du salon, comme il en avait l’habitude jusqu’alors. Quant à la naissance d’un bébé, elle est également une importante source de stress pour le chat : le nouveau-né accapare l’attention de sa famille, crie et pleure à tout moment, nécessite des nouveaux meubles qui potentiellement réduisent son espace à lui... Il est donc tout à fait normal que le chat ait besoin d’un temps d’adaptation pour retrouver un certain équilibre.
Pour ne pas le brusquer, l’essentiel est de lui épargner autant que faire se peut des changements qui peuvent être évités : il faut donc tâcher de continuer à le nourrir aux mêmes heures, laisser ses gamelles et sa litière aux mêmes endroits, ne pas le délaisser au profit du nouveau venu, etc.
Quant aux changements inévitables, il faut veiller à les mettre en place de manière progressive, afin de lui laisser le temps de s’adapter. Par exemple, si ses affaires doivent être changées de place, il est préférable de les déplacer chaque jour de quelques centimètres, jusqu’à atteindre le nouvel emplacement prévu. L’idéal est d’entamer les changements avant l’arrivée du nouveau venu, afin que le chat n’associe pas directement ce dernier aux modifications de sa routine : cela limite le risque qu’il se montre hostile à son encontre.
La question de l’espace est cruciale pour empêcher un chat d’être jaloux, car il est courant que l’arrivée d’un être supplémentaire nécessite des ajustements en termes d’aménagement. Or, un chat a en tout temps besoin d’avoir une sorte de refuge, c’est-à-dire un endroit dans lequel il se sent bien, où il peut s’isoler et est en mesure de subvenir à ses besoins (manger, boire, dormir, faire ses besoins…).
Lors d’une nouvelle arrivée dans le foyer, il est donc primordial de s’assurer que l’animal conserve un refuge qui lui est propre, quitte à ce que celui-ci change de place. Cela implique que pour faire vivre ensemble plusieurs chats ou faire cohabiter son chat avec un chien ou un représentant d’une autre espèce, chacun doit avoir un espace dédié et bien délimité (idéalement une pièce dédiée), dans lequel se trouvent ses gamelles, sa litière, des espaces de confort et de jeux ainsi que son panier.
Dès lors que le petit félin possède bien son propre domaine vital, il peut graduellement s’habituer au nouveau venu et finir par cohabiter sereinement avec lui. Toutefois, les choses se font progressivement, en particulier si ledit domaine a changé : un chat a toujours besoin d’un minimum de quelques jours pour s’habituer à une nouvelle routine, et cela peut parfois prendre plusieurs semaines.
Il est important de garder à l’esprit qu’une cohabitation harmonieuse entre un chat et un autre individu (humain ou animal) ne se décrète pas et ne se met pas en place instantanément : il faut laisser du temps aux deux protagonistes pour qu’ils s’habituent l’un à l’autre, et ne pas chercher à forcer le contact entre eux.
En effet, vouloir précipiter les choses aurait toutes les chances d’être contre-productif, car cela serait surtout source de stress pour chacun d’entre eux. Mieux vaut leur faire confiance, donner du temps au temps et laisser l’équilibre se faire, comme dans la nature. Ils ne deviendront peut-être pas les meilleurs amis du monde, car tout dépend de leur caractère et de leurs affinités, mais dès lors que chacun a accès aux ressources qui lui sont nécessaires et ne se sent pas menacé, la cohabitation n’a pas de raison d’être chaotique.
Par conséquent, il est possible de proposer au chat d’interagir avec le nouveau venu, mais il ne saurait être question de l’y contraindre. Par exemple, s’il reste d’abord distant, mieux vaut éviter les jeux tous ensemble, et privilégier des séances avec uniquement le maître.
En outre, si le nouveau venu est un chien, il faut absolument lui apprendre d’emblée à ne pas courir après le chat ou se montrer trop envahissant à son encontre, en particulier s’il y a une grande différence de gabarit. En tout état de cause, et même si là aussi le tempérament d’un individu n’est pas déterminé que par sa race, opter pour une race de chiens qui aime les chats est un bon moyen d’accroître les chances que tout se passe au mieux.
Si possible, il est conseillé de présenter au chat le nouveau venu avant que ce dernier n’emménage, afin de leur laisser le temps de s’habituer l’un à l’autre.
Dans l’idéal, la première rencontre doit avoir lieu en dehors du domicile, sur un terrain neutre, puis être suivie de plusieurs visites à la maison, en restant à chaque fois un peu plus longtemps. L’objectif est que le chat considère progressivement que la personne ou l’animal fait partie du paysage, et donc que son arrivée comme membre à part entière du foyer se passe de manière naturelle.
Si de telles rencontres sont inenvisageables, comme c’est le cas par exemple lors de la naissance d’un bébé, une bonne solution consiste à faire sentir au chat un objet appartenant au nouveau venu (par exemple un linge ou un vêtement, dans le cas d’un nouveau-né). En effet, cela permet qu’il s’habitue au moins déjà à son odeur, ce qui facilitera la cohabitation future. L’odeur étant également présente sur les mains du maître et des éventuelles autres personnes de la famille, le chat finira par comprendre qu’elle appartient à un être important.
Le débat reste entier quant à savoir si un chat peut être jaloux. Dire que c’est le cas lorsqu’il manifeste certains comportements est-il du pur anthropomorphisme, ou bien peut-il effectivement ressentir cette émotion secondaire ? Il n’existe pas à ce jour d’études scientifiques ou éthologiques sur les félins permettant de trancher la question.
En revanche, ce qui est certain, c’est qu’un chat est attaché à son confort et à ses habitudes. Il a besoin de nourriture, d’eau, mais surtout d’intimité, c’est-à-dire d’espaces qui lui sont propres et où il peut s’isoler si besoin. Tout changement dans son cadre de vie, à commencer par une nouvelle arrivée dans le foyer, est susceptible de remettre en cause cet équilibre, et donc d’entraîner des réactions parfois vives de sa part.
Bien sûr, cela ne doit pas pour autant conduire le maître à s’interdire tout changement. Simplement, il doit être conscient du fait que son compagnon risque alors d’être perturbé, et faire ce qu’il peut pour limiter le trouble de celui-ci, notamment en agissant de manière aussi progressive que possible. Il ne faut pas oublier que l’animal, contrairement généralement à son propriétaire, n’a pas son mot à dire et subit la nouvelle situation sans savoir si et combien de temps elle va durer.