Interview témoignage : le métier d'éleveur félin

Frédéric Richard, fondateur de l'élevage La Natte à Chats, portant et regardant dans les yeux un chat

Vivre de sa passion est un rêve pour beaucoup de personnes. Dès lors, quand on aime les chats, pourrait-on imaginer plus belle occupation professionnelle que de devenir éleveur professionnel ?


Pour autant, il faut se garder de toute idéalisation. Ce métier est certes stimulant et procure de nombreuses satisfactions, mais il est aussi très exigeant, et ne va pas sans toutes sortes d'inconvénients et de contraintes.


Pour le comprendre un peu mieux, nous avons eu le plaisir d'échanger longuement avec Frédéric Richard, qui a fondé il y a une vingtaine d'années l'élevage de la Natte-à-Chats et dispose donc d'une certaine expérience pour en parler...

Bonjour. Pouvez-vous vous présenter ?

Frédéric Richard, fondateur de l'élevage La Natte à Chats

La Natte à Chats est un élevage tout à fait atypique, car spécialisé dans l’adaptation des chatons à la vie en appartement. Nous n’avons que peu de naissances, mais investissons énormément de temps sur l’éducation des chatons, en plus de l’activité de reproduction à proprement parler. En effet, nous réalisons sur eux un travail de conditionnement comportemental qui leur permet par la suite de vivre harmonieusement en appartement.

 

Les chats étant à la base des animaux d’extérieur, cette préparation préalable est indispensable si l’on souhaite adopter un chaton mais que l’on n’est pas en mesure de lui offrir un accès au dehors.

 

Cette particularité s’inscrit dans un contexte où de plus en plus de personnes sont aujourd’hui soucieuses du bien-être animal. Celles qui sont également conscientes des besoins fondamentaux des chats sont heureuses de trouver un tel concept d’élevage, car il leur permet d’obtenir un chaton compatible avec leurs contraintes en termes de cadre de vie.

 

Cette approche singulière est évidemment liée à notre position géographique. Comme nous sommes installés au cœur de Paris, il eut été impossible d’opérer un élevage traditionnel, c’est-à-dire avec une séparation (même partielle) entre le lieu de vie des animaux et celui des humains, comme cela se fait habituellement. Notre organisation ne correspond donc nullement à celle enseignée dans les formations professionnelles pour devenir éleveur de chats. Même si ces dernières nous ont été très utiles, il nous a fallu dès le début réinventer presque tout.

 

Tout a commencé en 1997, alors que nous étions un jeune couple sans enfant et que nous nous sommes mis en quête d’un animal de compagnie. Nous nous sommes alors rendus à Animal-Expo, au parc floral de Vincennes, avec dans la tête l’idée d’adopter un chien. Toutefois, nous avons alors découvert également de magnifiques races de chats, dont le fabuleux Norvégien. Plusieurs éleveurs nous ont néanmoins mis en garde quant aux risques qu’il y a à adopter un chat quand on habite en appartement, comme c’était déjà notre cas à l’époque. Ils nous ont expliqué qu’un chat a besoin d’aller dehors pour être heureux, et même qu’il doit pouvoir s’y rendre de lui-même quand il le souhaite. Nous sommes donc repartis déçus, n’ayant pas trouvé la race de chiens convoitée et ayant été déboutés quant à un éventuel repli sur un chat.

 

Plus d’un an s’est ensuite écoulé, jusqu’au jour où un des éleveurs à qui nous avions laissé nos coordonnées nous a contacté pour nous proposer un chaton au tempérament particulier : du fait de problèmes de santé et contrairement au reste de la portée, il avait grandi isolé à l’intérieur. N’ayant pas pris l’habitude d’aller gambader dehors, il pourrait éventuellement poursuivre sa vie chez des adoptants vivant en appartement.

 

C’est ainsi que nous avons adopté notre premier chaton, un Norvégien mâle qui nous a apporté beaucoup de bonheur et s’est avéré effectivement parfaitement adapté à la vie en appartement. En revanche, vers l’âge de 3 ans, il a commencé à s’ennuyer, car la maison était devenue souvent vide : notre premier enfant était entré à l’école, et ma femme avait repris son activité professionnelle après son congé parental.

 

Notre vétérinaire nous a alors conseillé de lui offrir un petit compagnon félin, ce que nous avons fait. Nous avons ainsi adopté auprès d’un particulier une très belle femelle déjà âgée de presque 7 mois. Il faut dire que nous n’avons pas vraiment eu beaucoup de choix, puisque nous voulions là encore un animal adapté à la vie en appartement.

 

Aucun des deux chats n’étant stérilisés, est advenu évidemment ce qui devait advenir : quelques mois plus tard, notre femelle a mis bas pas moins de 7 chatons. Cette toute première portée est le point de départ d’une aventure magnifique (bien que parfois difficile) que nous n’aurions jamais imaginée initialement.

Pourquoi être devenu éleveur professionnel ?

Un chat et deux chatons Norvégien gris assis côte à côte

Contrairement à de nombreux confrères, nous n’avions au départ nullement l’intention de devenir éleveurs et de faire de l’élevage notre activité professionnelle : nous voulions simplement offrir à notre jeune mâle une compagne pour agrémenter son existence et qu’il souffre moins de la solitude.

 

Nous avons été ensuite confrontés au problème que notre unique femelle allait être saillie plusieurs fois par an, car un jeune mâle est très porté sur la chose. Or, être trop souvent gestante aurait été nuisible à son bien-être. La solution alors retenue a été d’avoir plusieurs femelles : cela permet d’alterner les gestations entre elles, tout en satisfaisant le mâle – sachant que nous avons exclu de le stériliser, tant par anthropomorphisme que par méconnaissance.

 

Il convient au passage de souligner que la notion d’éleveur dans la réglementation française a évolué plusieurs fois depuis le début du 21ème siècle, en particulier pour ce qui concerne le statut de professionnel. Aujourd’hui, toute personne ayant au moins une portée par an est considérée comme éleveur. Et dès la deuxième, elle doit avoir un statut de professionnel. Autrement dit, le statut d’éleveur professionnel est vite obligatoire.

 

Au début de notre activité, le seuil à partir duquel un éleveur devait s’enregistrer comme professionnel était évalué différemment : le critère retenu était le nombre de femelles reproductrices détenues (plus de trois), et non le nombre de portées par an. Il était donc plus facile de faire de l’élevage tout en conservant le statut de simple particulier.

 

Cela dit, nous avons rapidement opté pour le statut de professionnel avant même d’y être contraint, afin d’offrir à nos clients davantage de sécurité et de garanties que s’ils adoptent auprès d’un particulier.

Quel parcours avez-vous suivi ?

Un formateur et plusieurs personnes suivant une formation.

A l’époque où nous l’avons découvert, le monde de l’élevage n’était pas aussi organisé qu’il l’est de nos jours, et la réglementation était moins stricte - mais surtout peu respectée. Ainsi, de nombreux éleveurs n’avaient pas suivi de formation : cela ne les empêchait pas forcément de faire correctement ce métier qu’ils avaient appris sur le tas, mais sans parfois en maîtriser certains aspects théoriques. L’obtention en préfecture d’un « Certificat de Capacité (option chats) » était toutefois un préalable à l’exercice du métier en tant que professionnel.

 

Afin que celui-ci ne soit pas une simple démarche administrative, il a été demandé à partir du début des années 2000 aux éleveurs candidats de préalablement suivre une formation diplômante permettant d’obtenir le CETAC : Certificat d’Etudes Technique de l’Animal de Compagnie. Celle-ci se déroulait sur trois journées bien remplies, au cours desquelles tous les sujets relatifs à la tenue d’un élevage étaient abordés par différents intervenants de qualité, et qui se terminaient par un examen. La réussite à ce dernier était la garantie que la personne possédait les connaissances de base nécessaires pour se lancer dans le métier.

 

Aujourd’hui, l’ACACED (Attestation de Connaissances pour les Animaux de Compagnie d'Espèces Domestiques) a remplacé le CETAC et le certificat de capacité, mais le principe est le même – si ce n’est qu’il est désormais obligatoire de suivre tous les 10 ans une formation de mise à niveau suivie d’un examen. Beaucoup d’éleveurs se contentent de ce sésame pour exercer, pensant que la pratique fera le reste, voire que c’est elle qui importe le plus. De fait, il est possible de s’en contenter.

 

Néanmoins, ce n’est pas le choix qui manque si au contraire on souhaite approfondir. En effet, bien d’autres formations ultérieures sont accessibles aux éleveurs, quel que soit leur niveau d’expérience. Pour ma part, au fil des années et afin d’accroître mon niveau de connaissances théoriques, j’ai assisté régulièrement à différentes formations, dispensées notamment par l’École Vétérinaire de Maisons-Alfort. J’ai également approfondi mes connaissances dans un domaine connexe mais grandement utile pour tout éleveur souhaitant comprendre ses animaux et en prendre soin au mieux : le comportement félin, et en particulier dans mon cas celui des individus qui vivent en captivité et sont de ce fait davantage susceptibles de développer toutes sortes de problèmes de comportement.

 

La quasi-totalité des formations que j’ai suivies l’ont été par choix personnel et non par obligation, afin de disposer de connaissances allant largement au-delà du minimum requis pour exercer ce métier. Évidemment, tous les éleveurs n’ont pas cette appétence : la majorité se contentent de ce dernier.

 

Enfin, il faut noter que j’ai entraîné mon épouse dans cette aventure, si bien qu’elle a passé à son tour les mêmes certifications et formations.

Est-il compliqué de se lancer ?

Une personne assise à un bureau avec beaucoup de papiers, et se tenant la tête

L’élevage d’animaux de rente ou destinés à la consommation est une activité agricole. Les jeunes qui se lancent dans ce métier suivent plusieurs années d'études afin d'obtenir au minimum un Bac Professionnel « Conduite et Gestion de l'Exploitation Agricole », et poursuivent souvent avec un BTS (Brevet de Technicien Supérieur).

 

Pour le profane, l’élevage d’animaux destinés à la compagnie (par exemple des chats) peut en sembler bien éloigné. Pourtant, hormis la taille de l’exploitation, bien des similitudes existent, et nombre de grands principes sont partagés.

 

En revanche, la formation obligatoire pour devenir éleveur de chats ou chiens ne dure que deux jours (trois il y a quelques années). Contrairement aux élèves des filières agricoles traditionnelles, la plupart des personnes qui choisissent d’exercer ce métier sont donc peu préparées, et ont tout à découvrir sur le tas. C’est évidemment un aspect qu’il faut avoir en tête avant de se lancer.

 

Par ailleurs, ouvrir son propre élevage signifie créer une société. Comme pour n’importe quelle création d’entreprise, une phase de réflexion s’impose en amont, et il faut notamment :

  • faire le point sur son parcours professionnel ;

  • se faire aider et conseiller sur le projet ;

  • réaliser une étude de marché ;

  • étudier la rentabilité et la solidité financière du projet, via l’établissement d’un business plan ;

  • déterminer les besoins et sources de financement ;

  • trouver le cas échéant un local pour exercer son activité ;

  • choisir une forme de société et effectuer les démarches administratives de création : rédaction et dépôt des statuts, immatriculation…

Les éleveurs félins sont souvent des néo-entrepreneurs, c’est-à-dire qu’ils n’ont aucune expérience relative à la création d’entreprise. Le choix du statut, la gestion des cotisations sociales, des impôts, de la TVA, la comptabilité… sont autant de défis qu’il leur faudra relever, même si bien sûr il est possible – et recommandé – de se faire aider.

 

Évidemment, les personnes ayant un niveau d’études élevé assimilent généralement plus facilement tout cela, d’autant qu’elles sont davantage rompues à la résolution de problèmes. Néanmoins, elles sont largement sous-représentées dans cette profession : il est rare qu’un cadre aux revenus confortables mais accaparé par son métier ait le temps de se lancer dans cette activité, d’autant qu’elle ne lui procurera pas de substantiels revenus.

 

Quoi qu’il en soit, le niveau de connaissances préalable, les capacités intrinsèques et certains traits de caractère (détermination, rigueur et persévérance, mais aussi courtoisie et pédagogie lors des échanges avec les adoptants potentiels) sont des atouts majeurs de la réussite. Selon le cas, se lancer peut se révéler un vrai parcours du combattant ou bien une simple formalité. Dans les faits, la réalité se situe souvent entre les deux...

Est-il compliqué de développer sa clientèle ?

Une personne de dos portant un chaton gris et blanc sur son épaule

À moins de l’exercer par loisir et de disposer d’autres revenus, toute activité professionnelle doit être rentable. Un éleveur de chats doit donc être en mesure d’écouler sa production à un prix suffisamment élevé pour couvrir les importantes dépenses inhérentes à cette activité.

 

Cela suppose notamment de prospecter efficacement une clientèle qui ne vient pas spontanément à lui : contrairement à un commerce physique (par exemple une animalerie), il ne dispose pas d’une boutique ayant pignon sur rue. Évidemment, cette particularité rend la recherche de clients potentiels plus compliquée.

 

D’ailleurs, il ne peut pas non plus compter sur les animaleries pour écouler sa production. Du fait à la fois de la différence du coût de la vie et des législations beaucoup plus laxistes, les élevages des pays de l’Est proposent des chatons à des prix particulièrement bas – au détriment généralement du bien-être, de la santé et de l’équilibre psychologique de ces derniers. Ces animaux sont souvent destinés aux animaleries, qui les revendent avec une belle marge. Un éleveur français qui souhaiterait vendre ses chatons à de tels établissements devrait accepter un prix particulièrement bas, qui potentiellement ne lui permettrait même pas de rentrer dans ses frais. Cela contribue à expliquer qu’écouler ses chatons auprès des animaleries a toujours été une pratique marginale et décriée. De toute manière, la question ne se posera plus, compte tenu de l’évolution de la règlementation applicable dès 2024.

 

Finalement, le moyen auquel nombre d’éleveurs ont le plus recours est les sites d’annonces, qu’ils soient généralistes ou spécialisés. Parmi ces derniers, certains se présentent comme des sortes de « supermarchés en ligne » de chiots et chatons, sur lesquels il est possible d’acheter son futur animal en quelques clics… Néanmoins, contrairement à une animalerie, ces acteurs font simplement office d’intermédiaires entre l’éleveur et l’acheteur : ils n’offrent aucune garantie de réussir effectivement à placer sa production.

 

Quoi qu’il en soit, dans le cadre de l’élevage de chats, il faut avoir en tête que la raison qui pousse bien des adoptants à opter pour cette espèce plutôt que pour un chien est qu’elles ne possèdent pas de jardin et/ou ne sont qu’assez peu disponibles pour sortir leur animal. Autrement dit, une bonne partie de la clientèle est localisée en milieu urbain. Or, les éleveurs eux sont généralement situés en zone rurale ou péri-urbaine : le schéma classique est de disposer d’un bâtiment dédié à cette activité (une chatterie) occupant une partie du jardin. L’éloignement géographique entre les éleveurs et une large partie des adoptants ne facilite évidemment pas la spontanéité des ventes. Savoir se rendre visible pour trouver des adoptants potentiels est donc d’autant plus essentiel pour assurer le développement – et même simplement la pérennité - de son activité.

 

Une personne avec un chaton gris allongé sur un drap

Autrefois, la presse spécialisée dans les animaux de compagnie offrait une visibilité majeure, et la simplicité de publication de petites annonces rendait cette communication facilement accessible à tous les éleveurs. Évidemment, elle a depuis été détrônée par les médias numériques. Ces derniers offrent un pouvoir de communication décuplé, mais nécessitent de savoir maîtriser des outils dont l’usage ne coule pas forcément de source pour une certaine partie de la population - en particulier les moins jeunes. 

 

En tout état de cause, la publicité n’est pas le seul vecteur de promotion. En particulier, à défaut d’avoir une boutique réelle, il est utile de disposer d’un site internet servant en quelque sorte de vitrine pour présenter son activité. Or, sa création et sa gestion nécessitent du travail : que vous le développiez vous-même si vous avez les connaissances nécessaires, ou que vous confiez cette tâche à un prestataire, c’est à vous qu’il revient dans tous les cas de créer le contenu rédactionnel, une étape parfois longue. Des mises à jour régulières sont également nécessaires, mais peuvent s’avérer elles aussi chronophages.

 

Cela dit, tout ne repose pas nécessairement seulement sur le numérique. En effet, il continue d’exister des occasions de rencontres réelles entre éleveurs et grand public : les salons et expositions. Certes, y prendre part coûte du temps et de l’argent, mais cela permet de présenter ses animaux (voire de promouvoir les races dont on fait l’élevage) et éventuellement de remporter des prix permettant d’assoir sa réputation. Ce sont des évènements quasiment incontournables dans le monde de l’élevage félin.

Peut-on fidéliser sa clientèle ?

Une mère avec sa fille, l'une tenant un chat dans ses bras et l'autre un chaton

Que l’on soit médecin, coiffeur, restaurateur, garagiste…, la plupart des métiers conduisent à entretenir des liens réguliers et chronologiquement rapprochés avec les clients. Évidemment, il en va tout autrement pour un éleveur félin : acheter un chat est une démarche exceptionnelle, puisqu'un tel animal vit facilement autour de 15 ans.

 

En outre, lorsque leur petit félin finit par disparaître, beaucoup de personnes n’en reprennent pas un immédiatement : elles laissent passer du temps, notamment pour faire leur deuil. Certaines décident même alors de changer d’espèce, et d’opter par exemple pour un chien. D'autres encore en profitent pour changer de race. Enfin, une partie d’entre elles décident simplement de ne pas reprendre un animal. Autant dire que dans un métier comme l’élevage, il est difficile de faire bénéficier les acquéreurs d’une carte de fidélité…

 

Néanmoins, si une personne a eu une bonne relation avec son chat tout au long de la vie de ce dernier, elle est encline à se tourner de nouveau vers l’élevage d’où il provenait le jour où elle se décide à en adopter un nouveau de la même race. Comme nous existons depuis maintenant plus de 20 ans, nous revoyons donc régulièrement des adoptants qui nous avaient fait confiance à nos débuts. Ces personnes reviennent spontanément, sans que nous n’ayons rien fait d’autre que leur procurer à l’époque un animal qui leur a donné pleine satisfaction.

 

Sur une autre échelle temporelle, nous revoyons également des adoptants qui, quelques mois après l’acquisition d’un premier chaton, souhaitent lui offrir un compagnon de vie. Je dirais que cela représente un peu moins de 10% d’entre eux, ce qui n’est pas négligeable. Il faut dire que nous insistons auprès des acheteurs sur l’importance qu’ils évitent à leur compagnon l’ennui auquel un chat d’intérieur a tôt fait d’être confronté. Cette sensibilisation est bénéfique pour les intéressés, mais c’est aussi un moyen de fidéliser la clientèle, sous réserve bien entendu que l’expérience avec le premier chaton soit réussie.

 

Notre mode d’élevage atypique nous offre la chance de proposer des chatons dotés d’un caractère exceptionnel. De ce fait, les clients sont généralement enchantés du comportement de leur animal, et se montrent davantage fidèles que la moyenne. Néanmoins, cela reste marginal au niveau de l’activité dans son ensemble : fondamentalement, l’élevage est un métier qui ne se prête pas à la fidélisation.

Comment gérez-vous la concurrence ?

Un chaton Norvégien gris assis sur un muret, avec un cheval près de lui

Vers le milieu des années 2000, nous avons eu comme client un éleveur de chevaux de courses avec lequel nous avons échangé longuement sur nos professions respectives, toutes deux centrées sur le travail avec les animaux. Nous avons découvert à cette occasion que le microscosme des éleveurs équins est constitué de nombreuses ententes et de petits arrangements entre membres de la corporation, notamment pour l’organisation d’accouplements entre chevaux d’élevages différents ou la cession de poulains destinés à la reproduction. Si l’objectif est de produire des champions en choisissant scrupuleusement les croisements effectués, c’est tout à fait louable. Néanmoins, les mêmes moyens peuvent être utilisés pour empêcher un éleveur de se développer, voire l’éliminer. Le monde hippique brassant des sommes considérables, des méthodes d’intimidation dignes de la mafia sont parfois employées.

 

Le monde félin est préservé de tels excès, car les montants en jeu sont beaucoup plus faibles. Pour autant, la mentalité et les méthodes y sont parfois similaires : mettre sciemment un éleveur au banc de la profession, le dénoncer par exemple à des associations de protection des animaux, aux services fiscaux et/ou à la répression des fraudes (DGCCRF), faire déclencher un contrôle sanitaire par la DSV (Direction des Services Vétérinaires), publier des faux avis et retours d’expérience à son sujet sur Internet…

 

Pour notre part, lorsque nous nous sommes lancés, nous n’avions nulle envie de nuire à autrui, mais nulle envie non plus de devoir adhérer à une quelconque organisation (club de race, associationsou autre regroupement d’éleveurs) pour éviter d’être rejetés du milieu. Nous souhaitions juste évoluer librement, en s’engageant à fond dans notre activité particulière d’élevage en appartement, en plein Paris, afin de la réaliser au mieux et selon notre méthode. De fait, nous avons rapidement constaté que notre modèle d’élevage, aussi spécifique soit-il, correspond complètement aux attentes d’un certain public. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons longtemps essuyé tant de calomnies et fait l’objet de toutes sortes de (vaines) dénonciations, notre réussite nous attirant bien des foudres et beaucoup de jalousie. Nous dérangions...

 

Deux chats dans un arbre à chats moderne

Force est de constater en tout cas que tous les élevages n’ont pas exactement la même approche. Certains n’ont qu’un nombre limité d’animaux, là où d’autres en ont beaucoup. Certains se spécialisent sur une seule race, quand d’autres en élèvent plusieurs – et il existe même des éleveurs qui cumulent chats et chiens. Certains font de ce métier leur occupation principale, alors que pour d’autres c’est simplement une activité à la marge. Certains ont à cœur de mettre à disposition de leurs protégés de vastes enclos aménagés dans le jardin, mais d’autres tentent plutôt de faire de l’élevage en intérieur – rares sont ceux toutefois qui vont jusqu’à intégrer complètement l’élevage au sein de leur lieu de vie, comme nous le faisons.

 

Dans tous les cas, offrir aux animaux dont on a la charge des conditions de vie et des soins optimum, en allant bien au-delà de ce que la réglementation impose, est quasiment incontournable pour séduire la clientèle. Pour gérer la concurrence, il revient à chacun de trouver et mettre en œuvre le « petit plus » qui le démarquera des autres, mais en prenant bien soin de le faire dans le créneau qui est le sien : vouloir se comparer avec les éleveurs ayant un positionnement différent n’est pas d’une grande utilité.

 

Pour notre part, notre « petit plus » tient tant à notre approche si peu conventionnelle de l’élevage qu’à notre implantation au cœur de Paris. Nous sommes ainsi en mesure de proposer des chatons habitués à la vie en appartement et extrêmement sociabilisés. Ces particularités ont contribué à notre notoriété, mais cette dernière n’aurait su perdurer si la qualité n’était pas au rendez-vous, c’est-à-dire si nous n’étions pas à la hauteur de nos promesses. De fait, nous nous sommes ainsi naturellement positionnés sur une approche très haut de gamme qui n’a pas vraiment équivalent, et c’est ce qui fait que dans notre cas la concurrence n’a jamais été un sujet majeur.

Quels sont les coûts pour se lancer ?

Une personne utilisant une calculatrice située sur une table, à côté de plusieurs billets d'argent liquide

L’investissement nécessaire pour démarrer un élevage de chats, fût-il de petite taille, peut se révéler non négligeable si on souhaite agir dans les règles de l’art.

 

La création de locaux dédiés aux animaux constitue généralement le principal poste de dépenses. En effet, quand bien même on dispose déjà d’un bâtiment tout trouvé, encore faut-il l’aménager.

 

Les lieux doivent notamment être aérés, chauffés et éclairés. En outre, les murs, sols et plafonds doivent être dans des matériaux résistants, imperméables et facilement lavables. Il ne saurait par exemple être question d’un simple abri de jardin entouré d'un grillage : on parle bien de vrais locaux, d’une construction en dur ou à la limite d’un préfabriqué (un peu comme un mobile home).

 

Évidemment, le coût peut vitre être assez conséquent : c’est ce qui explique que beaucoup d’éleveurs construisent eux-mêmes leur chatterie. Il est aussi possible de diminuer la facture en limitant la taille des locaux, mais le risque est alors de se retrouver à l’étroit si l’activité se développe et/ou de ne pas offrir de bonnes conditions d’existence aux animaux.

 

Dans certains cas, il est possible d’installer l’élevage au sein même de son habitation, ce qui évidemment réduit fortement les coûts pour se lancer. Cela suppose toutefois d’être installé dans une grande maison, et de bloquer plusieurs pièces pour cette activité - par exemple en aménageant le grenier.

 

Dans tous les cas, l’idéal est de disposer d’au moins cinq pièces pour les animaux : une nurserie, une salle de mise bas, une salle pour l'étalon, une infirmerie, une salle de vie normale. Certains éleveurs ont aussi un bureau pour recevoir la clientèle, voire davantage – par exemple une salle d’attente, ce qui est bien pratique lorsque plusieurs adoptants potentiels sont présents en même temps.

 

Enfin, si on possède un jardin, il est fortement recommandé d’y aménager un ou plusieurs enclos extérieurs pour que les animaux puissent s’y épanouir : les chats apprécient l’extérieur, alors autant les en faire profiter si possible.

 

Une personne achetant un panier pour chat dans un magasin d'accessoires pour animaux

Quelle que soit la forme exacte que prennent les locaux, il faut ensuite y installer toutes sortes de matériels et accessoires : distributeurs de nourriture, gamelles, arbres à chats, griffoirs, mobilier divers pour recréer la configuration d’une habitation et leur permettre de sauter et grimper, bacs à litière, cages, couvertures, caisse de mise bas, parc à chatons, jouets, chauffage d’appoint, extincteur… Il est également fort utile d’investir dans des webcams pour surveiller vos animaux en votre absence.

 

Il faut aussi prévoir une trousse à pharmacie permettant de parer à toutes sortes de problèmes, un lecteur de puce électronique similaire à celui dont dispose les vétérinaires (il est parfois difficile de différencier visuellement un chaton et un autre, et cela permet de confirmer l’identité de l’animal lors de la vente), un registre officiel des entrées et sorties (la loi française l’impose), du matériel de toilettage… Une lampe UV pour détecter la teigne peut également s'avérer fort utile.

 

Tout cela nécessite un budget de l’ordre de 1000 à 1500 euros, sachant qu’il est conseillé d’acheter du bon matériel : c’est souvent un meilleur calcul sur la durée.

 

Il faut disposer également de matériel de lavage et de désinfection (par exemple à vapeur) et d’une machine à laver le linge.

 

Par ailleurs, une grande voiture est également nécessaire : il est courant de devoir transporter plusieurs animaux à la fois (par exemple pour aller chez le vétérinaire), ainsi que du matériel. Or, la loi impose certaines normes concernant la taille des cages de transport. Et de toute façon, à partir du moment où on aime ses animaux, on tâche de leur rendre le transport le plus confortable possible, en investissant dans de grandes cages.

 

Un ordinateur, une imprimante et un appareil photo sont également indispensables.

 

La facture peut donc vite grimper, même si bien sur tout dépend de ce qu’on possède déjà ou pas.

 

Enfin, il faut bien sûr acquérir ses futurs reproducteurs, sachant que l’idéal est de disposer d’emblée d’un mâle et de trois femelles. En effet, il est nécessaire de limiter la fréquence à laquelle les gestations d’une femelle se succèdent, tant pour ne pas l’épuiser que pour respecter la réglementation en la matière. Du reste, bien des mâles ne se contentent pas d’une seule femelle pour assouvir leur trop-plein de testostérone. Or, le prix d’un chat destiné à la reproduction est généralement significativement plus élevé que celui d’un spécimen destiné à la compagnie. Le montant exact à débourser diffère bien sûr d’une race à l’autre, mais dans l’ensemble on peut compter 2000 euros par chaton. À cela viennent s’ajouter d’éventuels frais de voyage, si on va chercher ses reproducteurs à l’étranger. Cela s’avère plus souvent nécessaire qu’on ne le pense, parce qu’il est difficile de trouver des éleveurs qui acceptent de vendre des chatons destinés à la reproduction : la plupart les cèdent déjà stérilisés, par peur d’une nouvelle concurrence.

Faut-il élever plusieurs races ou une seule ?

Trois chats de races différentes côte à côte

Si l’on veut vivre de l’activité d’élevage, et en vivre correctement, il est nécessaire de se diversifier : non seulement cela permet d’avoir une offre en adéquation avec une demande disparate, mais aussi de limiter économiquement les risques. C’est la même chose que lorsqu'on fait des placements en bourse : il est utile pour sécuriser son portefeuille de le diversifier, car mettre tous ces œufs dans le même panier n’est pas une bonne idée.

 

Dans le cas de l’élevage, deux ou trois races est une bonne base – on peut néanmoins aller un peu au-delà si on est expérimenté et très bien organisé. Il faut par ailleurs prévoir au minimum deux femelles par race, pour des raisons de rentabilité. En revanche, un seul mâle peut suffire pour deux ou trois femelles.

 

Néanmoins, élever plusieurs races suppose d’avoir pas mal de place, car il est alors indispensable de séparer les espaces pour éviter qu’aient lieu des accouplements entre individus appartenant à des races différentes.

 

En tout cas, qu’on élève plusieurs races ou une seule, il est crucial que chaque animal dispose de suffisamment d’espace et d’éviter la surpopulation. Avoir par exemple 10 ou 20 chats dans un même espace ne serait pas une bonne idée non seulement pour leur bien-être (contrairement aux chiens, les chats ne sont pas des animaux de meute), mais aussi en termes de risques en cas d’épidémie. Mieux vaut alors avoir plusieurs locaux distincts. Évidemment, c’est plus facile dans le monde rural que dans un environnement urbain, par exemple.

 

Par ailleurs, plus le nombre de chats est important, plus il devient nécessaire de recruter du personnel pour s’en occuper : l’élevage devient alors une véritable petite entreprise, et on s'éloigne de l’approche familiale. Sachant que l’éleveur ne peut bien sûr pas attendre du personnel le même niveau d’implication que celui qui est le sien, et que lui-même se retrouve alors en partie accaparé par des aspects administratifs qui empiètent sur son temps « opérationnel », le risque existe que le nombre élevé d’animaux empêche de passer suffisamment de temps avec chaque chaton afin de s’assurer de son bon développement – et en particulier de le sociabiliser.

 

Deux chats de race différente côte à côte

À l’extrême inverse se situent les petits élevages dits familiaux, souvent centrés sur une seule race, ce qui permet à l’éleveur de bien connaître les caractéristiques et les besoins de ses animaux, et de s’investir pleinement et avec passion dans la socialisation de ses chatons – a fortiori si ces derniers ne vivent pas dans un endroit séparé.

 

Néanmoins, élever une seule race est bien entendu plus hasardeux – ne serait-ce que parce que l’appétence du public pour une race donnée peut évoluer fortement, parfois en quelques années à peine. Cette absence de diversification n’est donc pas sans risques quant à la viabilité de l’entreprise. Cela dit, pour les personnes qui choisissent cette option, il s’agit souvent d’une activité professionnelle secondaire, souvent en marge d’une activité salariée sans aucun rapport.

 

D'ailleurs, s’il est vrai qu’un adoptant a généralement plutôt intérêt à s’adresser à un élevage familial, ce critère n’est pas non plus un gage de qualité. En effet, il existe toujours un seuil au-delà duquel il est humainement impossible de s’occuper correctement des animaux. Or, il est d’autant plus rapidement atteint quand on exerce cette activité en plus de son travail habituel, et non à temps plein. Certes, certaines périodes sont assez calmes, mais celles où les bébés sont là demandent un investissement bien plus important, a fortiori par exemple en cas d’épizooties : bien qu’elles soient la plupart du temps sans gravité, ces dernières sont fréquentes et nécessitent à chaque fois une grande attention et disponibilité. On est alors heureux de n’avoir à gérer qu’un nombre restreint de chats…

 

À mon sens, si on ne se consacre pas à l’élevage à temps plein, il est plus raisonnable de se cantonner à une seule race et de limiter à deux voire trois le nombre de femelles reproductrices. En outre, mieux vaut alors éviter qu’elles aient leurs portées en même temps, car même à temps plein cela peut vite devenir difficile à gérer.

Fut-il difficile de se faire une place ? Est-ce un métier stable ?

Un éleveur tenant dans sa main un chaton Norvégien blanc récemment né

Quand elles surviennent, les crises touchent beaucoup de secteurs, mais rarement celui du luxe, de l’art et plus généralement des objets et services très haut de gamme. Ces derniers apportent du rêve que s’offre sans retenue une clientèle aisée en quête de distinction, mais séduisent aussi un public plus large qui décide de consommer dans une démarche qualitative plus que quantitative, décidant alors ponctuellement de se faire plaisir – quitte à rogner sur d’autres postes de dépenses. Comme nous avons justement un positionnement haut de gamme et une réelle différenciation, nos chatons sont très prisés, au point d’être généralement réservés avant même d’être nés.

 

Cela a été vrai dès le début de notre activité, puisque nous n’avons rapidement eu aucun mal à les placer. Pour autant, nous ne gagnions beaucoup d’argent : nous ne dégagions guère de bénéfice, notamment à cause des lourds travaux d’aménagement que nous avions dû effectuer pour mettre aux normes notre appartement, et du fait que nous tâchions de caler nos prix sur la moyenne du marché...

 

De fait, les éleveurs de chats sont généralement d’abord et avant tout des passionnés, dont l’objectif est souvent d’éviter de perdre de l’argent plus que d’en gagner - c’est d’ailleurs pour ça qu’il s’agit le plus souvent d’une activité secondaire. Notre situation financière est devenue aujourd’hui plus confortable, mais nous sommes loin d’être représentatifs de l’ensemble de la profession.

 

Dans tous les cas, le métier d’éleveur est riche en aléas, avec souvent des conséquences économiques à la clef. En particulier, les problèmes de santé sont aussi imprévisibles qu’inévitables, même en multipliant les précautions. Ils sont d’ailleurs d’autant plus impactants que l’effectif est faible : par exemple, si une chatte perd une portée à l'occasion d'une fausse couche, c’est beaucoup moins problématique si vous avez une dizaine de femelles que si vous n’en avez que deux. En effet, dans ce dernier cas, vous perdez la moitié de votre production annuelle !

 

Un chaton Norvégien blanc aux yeux bleus assis

L’approche pour laquelle nous avons opté (investir énormément dans le conditionnement et l’éducation des animaux que nous proposons, mais du coup n’en proposer qu’un nombre limité) n’est donc clairement pas la voie de la facilité. L’approche la moins risquée est clairement d’opter pour une production conséquente, c’est-à-dire de vendre beaucoup de chatons de qualité standard à un prix plutôt bas.

 

Le fait de fixer un prix modeste, qui parfois permet à peine de rentrer dans ses frais, n’est pas anodin : nombre d’éleveurs rencontrent des difficultés pour arriver à placer leurs chatons, et chaque semaine qui passe voit la valeur de ces derniers diminuer, car ils deviennent mois attractifs. En effet, bien des adoptants valorisent fortement l'esthétisme et le côté aussi attendrissant qu’éphémère des animaux vendus à peine sevrés. Ainsi, ceux qui sont mis en vente dès qu’ils atteignent l’âge légal minimum, à savoir 2 mois, sont très prisés.

 

Cela dit, il existe aussi une autre catégorie d’adoptants, qui eux sont davantage conscients de l'importance de la phase de sevrage et acceptent que l’animal soit un peu plus âgé. C’est généralement le cas des personnes qui deviennent nos clients : elles savent que le conditionnement comportemental des chatons à la vie en appartement est un travail particulier nécessitant un peu de temps, et comprennent parfaitement qu’il est nécessaire d’attendre que leur futur compagnon ait au moins 3 mois pour pouvoir l’adopter. 

 

Or, la majorité des naissances ont lieu au printemps : les petits atteignent alors l’âge d’être adopté juste avant la période estivale, période où la demande est faible à cause de l’arrivée des vacances. À partir de mi-septembre, les demandes d’adoption redémarrent. Toutefois, les chatons nés au printemps et n’ayant pas encore trouvé preneur approchent alors les 6 mois, si bien que les éleveurs se retrouvent obligés de les brader.

 

Pour toutes ces raisons, il faut avoir les nerfs solides pour exercer ce métier, le faire d’abord par plaisir et, à moins d’avoir un gros élevage, ne pas considérer cette activité comme une source de revenus fiables. Il faut aussi accepter de traverser des périodes difficiles (qui souvent ont le don de survenir au moins bon moment), et que parfois votre élevage vous coûte plus d’argent qu’il ne vous en rapporte.

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Se lancer comme éleveur félin
Dernière modification : 02/17/2023.

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