Depuis les années 2010, le chat s’est imposé comme un des personnages fétiches du jeu de société. Il faut dire que cet animal multifacette se prête parfaitement au médium : mystérieux, drôle et attachant, il a sa place aussi bien dans des jeux de plateau prenant place dans un univers de fantasy que dans des jeux de cartes farfelus ou encore dans des titres originaux qui traitent de son quotidien avec humour.
C’est ainsi qu’il existe aujourd’hui plus de 200 jeux de société avec des chats. Certains sont des titres pensés pour toute la famille et dont les règles s’apprennent en quelques minutes, tandis que d’autres au contraire sont des expériences riches et complexes qui se destinent à un public d’initiés.
Quoi qu’il en soit, voici une sélection de 10 jeux de plateau destinés aux amoureux de la gent féline, précédés par une petite rétrospective sur la place du chat dans les jeux de société.
Le chat est aujourd’hui bien représenté dans l’univers des jeux de société, mais c’était loin d’être le cas par le passé. En effet, que ce soit en Occident ou en Orient, il en était quasiment absent avant le 20ème siècle.
C’est le cas notamment dans l’Égypte antique (de 3150 avant J.-C. à 30 avant J.-C.), alors même qu’il y est représenté sur toutes sortes de supports : des peintures, des sculptures, des bijoux… Lorsqu’il s’agit de jeux de société, les Égyptiens lui préfèrent manifestement les chiens, les serpents ou encore les hippopotames.
On retrouve cela dit un félin dans le Mehen, un des jeux les plus joués de l’Égypte antique, mais on ne sait pas s’il s’agit d’un chat, d’un lion ou d’un autre animal. Il faut dire que ce jeu dont les premières traces écrites remontent à 2100 avant J.-C. reste un mystère : en particulier, ses règles demeurent inconnues. On sait simplement que les joueurs devaient déplacer des pions sur un plateau circulaire représentant un serpent, et taillé généralement dans la pierre. En tout état de cause, il semble être tombé en désuétude après 2000 avant J.-C, sans qu’on sache pourquoi.
Le chat est également absent de l’iconographie des jeux du Moyen Âge – ou du moins de ceux dont il demeure des traces historiques. Les documents dont on dispose montrent qu’on y représente alors plutôt des animaux en lien avec la chasse, comme le chien, le renard, l’oie ou encore le lièvre. Par ailleurs, les jeux de l’époque sont en général minimalistes. Par exemple, tant dans le Renard et les Oies que dans le jeu du Lièvre et du Chien, deux des jeux les plus populaires au Moyen Âge, les animaux mis en scène sont représentés sur le plateau par de simples jetons.
En Orient, il n’existe pas non plus de traces d’anciens jeux dans lesquels les chats auraient été représentés.
L’évolution de la place du chat dans les jeux de société suit de près son processus de domestication.
À partir de l’ère victorienne (1837-1901), la perception du chat évolue : alors qu’il était jusqu’alors surtout vu comme un moyen de protéger les foyers contre la vermine, il commence aussi à être considéré comme un compagnon de vie à part entière. La reine Victoria (1819-1901) elle-même y contribue, puisqu’elle possède plusieurs petits félins domestiques.
Ce changement inspire certains créateurs de jeux de société, si bien que cet animal se retrouve dans quelques titres édités à la fin du 19ème siècle comme The Game of Catching Mice (1888), The Game of Puss in the Corner (1888) et Puss in the Corner (1895) - qui porte presque le même nom, mais est bel et bien un jeu distinct. Tous trois sont fidèles à la philosophie des jeux de l’époque, puisqu’il s’agit à chaque fois d’expériences ludiques qui mettent l’accent sur la convivialité, mais s’avèrent assez rudimentaires en termes de gameplay.
Créé par les frères McLoughlin, The Game of Catching Mice invite les joueurs à incarner des chats tentant d’attraper des souris. Il faut pour cela déplacer des pions sur une piste circulaire dont chaque case correspond à une lettre. Pour déplacer son pion, on doit faire tourner une flèche sur une roue numérotée, puis avancer du nombre de cases obtenu. On parvient à capturer une souris lorsqu’on tombe dans l’ordre sur les lettres M, I, C, E (« mice » signifie « souris » en anglais).
Également conçu par les frères McLoughlin, The Game of Puss in the Corner est un jeu de cartes sur lesquelles figurent soit des chats, soit des souris. Il s’agit d’un jeu de levée relativement classique, dans lequel on joue ses cartes en les posant par-dessus celles déjà sur la table afin de réaliser des combinaisons spécifiques. On remporte alors les cartes correspondantes, et le but est d’avoir le plus de cartes en main à la fin de la partie.
Puss in the Corner est quant à lui un jeu de course pour 4 joueurs inventé par les frères Parker. Il se joue sur un plateau sur lequel est dessinée une croix quadrillée. Après avoir placé ses trois pions sur les trois cases à l’une des extrémités de la croix, on doit faire tourner une petite roue sur un carton rectangulaire numéroté et faire avance un de ses pions, en ligne droite, du nombre de cases indiqué. Le but est d’atteindre le bord opposé du plateau, mais bien sûr les autres joueurs en font de même : si le pion doit atterrir sur une case déjà occupée, il est éjecté de la piste et retourne à la case départ.
Certains titres de l’époque sortent néanmoins du lot et proposent une expérience plus riche aux amateurs de jeux de société. C’est le cas notamment de The Amusing Game of Kilkenny Cats (1890), un jeu développé par les frères Parker et inspiré d’une fable irlandaise parlant de deux chats s’étant battus avec une telle violence que seules leurs queues furent retrouvées. Il propose ainsi à 4 joueurs de se livrer bataille : chacun prend en main une armée de 8 félins représentés par autant de pions cylindriques à disposer au sein de la zone qui lui est réservée sur un damier de 14 cases sur 14. Pour gagner, il faut que deux d’entre eux atteignent le bord opposé du plateau. Pour cela, on actionne une roue numérotée et on avance un de ses pions du nombre de cases indiqué. C’est cependant plus facile à dire qu’à faire, car un pion est capturé lorsqu’un joueur vient placer le sien sur la case où il se trouve. Très stratégique, The Amusing Game of Kilkenny Cats parvient à survivre à l’épreuve du temps : grâce à Internet, il connaît même un regain de popularité au 21ème siècle.
Il faut toutefois noter que la présence de chats dans les jeux de l’époque demeure assez rare. On leur préfère souvent d’autres animaux - notamment les chiens, présents dans de nombreux titres basés sur les courses de lévriers et dans d’autres inspirés du jeu de l’oie.
Au début du 20ème siècle, le chat continue de se faire discret dans les jeux de société. On le trouve principalement dans des variantes des trois types de jeux de société que l’on rencontre le plus souvent à cette époque : le jeu de l’oie, le jeu des échelles et des serpents, ainsi que le jeu des petits chevaux.
Dans les années 1900, l’éditeur Milton Bradley propose par exemple The Three Little Kittens, une adaptation du jeu de l’oie inspirée de la comptine anglaise Three Little Kittens (« Trois Petits Chatons », en français). Écrite par la poétesse américaine Eliza Lee Cabot Follen (1787-1860), cette dernière parle de trois chatons déboussolés après avoir perdu leurs moufles. On déplace donc de case en case sur un plateau représentant un jardin des pions symbolisant chacun l’un d’entre eux, et l’objectif est d’atteindre la ligne d’arrivée avant les autres pour y récupérer les fameuses moufles perdues.
En 1929, les frères Parker sortent Cats and Dogs, une variante du jeu des échelles et des serpents mettant en scène des chats et des chiens qui s’affrontent pour atteindre le plus vite possible le centre du plateau. Contrairement à de nombreux jeux édités à cette époque, les animaux n’y sont pas représentés par de simples pions cylindriques, mais par de véritables figurines peintes à la main.
Le 20ème siècle est aussi l’occasion pour des chats de bandes dessinées et des chats de dessins animés de s’illustrer dans des jeux de société. Toutefois, ces titres opportunistes ne sont là encore pour la plupart que de simples variations du jeu de l’oie. C’est le cas par exemple de Felix, The Cat’ Dandy Game (1957), qui s’offre les droits d’utilisation du célèbre chat tuxedo noir et blanc anthropomorphe, mais l’exploite de manière on ne peut plus banale.
La situation n’évolue guère jusqu’à la fin du siècle. Au contraire, les jeux de société avec des chats se font de plus en plus rares au fil des décennies, et aucun ne semble vraiment parvenir à sortir du lot.
Durant la seconde moitié du 20ème siècle, le marché du jeu de société se cantonne principalement à quelques références comme Monopoly, Cluedo ou Scrabble. Il s’agit de titres aux mécaniques simples auxquels on joue principalement en famille. Rares sont les nouveaux jeux qui parviennent à s’imposer sur le marché.
À partir du début du 21ème siècle, des titres allemands aux mécaniques de jeu différentes connaissent un succès international qui vient progressivement changer la donne et prouve que le public est friand de jeux plus riches et plus complexes. Il témoigne aussi d’une envie de découvrir des expériences plus thématiques et plus immersives. Les Colons de Catane (1995) de Klaus Teuber et Carcassonne (2000) de Klaus-Jürgen Wrede en sont de parfaites illustrations.
Dès la première décennie du 21ème siècle, ces titres allemands à succès s’exportent : d’abord aux États-Unis, puis un peu plus tard en Europe. Le jeu de société connaît alors un nouvel âge d’or un peu partout dans le monde.
En parallèle, on assiste à une explosion de la popularité des vidéos de chats diffusées sur Internet. Le phénomène prend une telle ampleur qu’en 2015 on estime qu’il existe plus de 2 millions de vidéos de chats sur YouTube, avec en moyenne 12.000 vues chacune.
Cela donne des idées à certains concepteurs de jeux. Ainsi, le dessinateur américain Matthew Inman propose en 2015 Exploding Kittens , une variante de la roulette russe avec des cartes sur lesquelles sont dessinés de drôles de chatons explosifs. Avec ses règles simples et son gameplay faisant la part belle à la stratégie, ce titre ne tarde pas à rencontrer un franc succès – au point qu’il figure parmi les jeux les plus vendus de la décennie.
Sans surprise, cette réussite fait des émules : d’autres éditeurs décident d’exploiter eux aussi la figure du chat. La popularité de titres comme Root (2018) et L’Île des chats (2019), qui eux aussi parviennent à s’imposer parmi les titres les plus plébiscités de leur époque, prouve qu’Exploding Kittens n’est pas un cas isolé : une partie du public est réellement demandeuse de titres centrés sur les chats. Tant leurs facéties que leur caractère parfois mystérieux inspirent nombre de créateurs indépendants et de petites entreprises du secteur, qui font preuve d’ingéniosité pour proposer des expériences venant enrichir une offre d’ores et déjà pléthorique.