Des chats et des hommes

11/10/2007


Une étude publiée dans Science révèle l'histoire évolutive des chats grâce à leurs gènes.
Le félin se serait acoquiné avec l'homme dès sa sédentarisation au Néolithique, dans la région du Croissant fertile. Le présent article vient en complément de notre news du mois de juin dernier.

L'histoire de la complicité entre hommes et chats est vraiment très ancienne et a commencé au Proche-Orient: une équipe de chercheurs dirigée par l'Américain Carlos Driscoll vient de le prouver grâce à la génétique. Il a été longtemps admis que le chat avait été domestiqué par les Égyptiens avant le Nouvel Empire (IIIe millénaire avant notre ère). Jusqu'à ce qu'on découvre en 2004 une sépulture vieille d'environ 9 000 ans sur l'île de Chypre. Un homme y était enterré... avec son chat. L'histoire se dévoile donc un peu plus aujourd'hui: on peut affirmer que nos félins ont été apprivoisés dans la région du Croissant fertile (1), puisque la sous-espèce de chat sauvage dont ils descendent, Felis silvestris lybica, vient du Proche-Orient.

Il aura fallu près de six ans à l'équipe internationale pour mener à bien ses recherches (2). Première étape: obtenir le matériel génétique de chats domestiques (Felis silvestris catus) et de différents chats sauvages. Pour cela, tous les moyens ont été bons. "Pendant plus d'une année, Carlos Driscoll a sillonné tous les musées pour amasser un maximum d'échantillons, explique Dominique Pontier, du laboratoire "Biométrie et biologie évolutive", à Lyon (3), qui a participé à l'étude, car ce n'est pas chose aisée que de capturer des chats sauvages !" Pas loin de 1 000 échantillons ont pu être récoltés, appartenant notamment aux quatre sous-espèces de chats sauvages les plus proches du chat domestique.

Les analyses génétiques ont alors pu démarrer. L'équipe a repéré et séquencé des fragments d'ADN, qui ont servi de marqueurs pour établir l'arbre phylogénétique de nos félins. Une phase cruciale, car si la phylogénie des chats a toujours été mal connue, c'est justement parce qu'aucun marqueur pertinent n'avait été mis en évidence. L'arbre ainsi reconstitué possède finalement cinq branches distinctes. Tous les chats domestiques appartiennent à la même ramification qui comporte aussi les chats sauvages de la sous-espèce Felis silvestris lybica. Ce félin du Proche-Orient serait donc l'ancêtre de nos matous.

La génétique permet également d'associer une chronologie à cette histoire évolutive. Ainsi, les scientifiques ont estimé que l'apparition de l'ancêtre de tous les chats remonte à 230 000 ans. Le chat sauvage européen, Felis silvestris silvestris, aurait, lui, divergé de ce dernier il y a environ 200 000 ans. Tandis que le Felis silvestris lybica serait apparu il y a 130 000 ans. Cependant, l'homme a probablement domestiqué ce chat bien après. Dominique Pontier admet que "la date exacte de la domestication du chat n'est toujours pas connue avec certitude". Mais selon les chercheurs, les chats Felis silvestris lybica du Croissant fertile auraient été attirés par les premiers agriculteurs au Néolithique (4) ou plus exactement par des rongeurs ayant élu domicile dans les greniers à céréales. Les paysans auraient accueilli ces prédateurs avec bienveillance pour protéger leurs récoltes. Dominique Pontier, spécialiste du chat, a le sentiment que, contrairement aux autres espèces amadouées par l'homme, "c'est davantage le chat qui se serait domestiqué et non l'homme qui aurait apprivoisé l'animal".

Si les chats domestiques pullulent (il en existe quelque 500 millions à travers le monde), la grande majorité des 36 autres espèces ou sous-espèces sauvages est actuellement menacée d'extinction. Doté d'une extraordinaire capacité d'adaptation, le chat domestique a colonisé avec succès des milieux extrêmement variés: campagnes, villes, jusqu'en subantarctique dans l'archipel des Kerguelen. Cette conquête ne va pas sans poser de problèmes, notamment pour ses congénères sauvages avec qui il peut s'accoupler. Ce qui, à terme, entraîne la disparition de ces espèces par hybridation. Jusqu'à présent, le niveau d'hybridation n'était pas quantifiable. C'est aujourd'hui possible grâce aux marqueurs génétiques identifiés dans cette étude. Estimer le niveau d'hybridation des chats sauvages d'Europe constitue d'ailleurs le prochain défi pour Dominique Pontier, Carlos Driscoll et leurs collaborateurs. Les résultats, en déterminant également quels facteurs environnementaux favorisent ou non l'hybridation, seront indispensables pour la conservation de ces animaux.

Notes:
(1) Actuellement Irak, Liban, Syrie, Israël, Cisjordanie, Jordanie, Turquie et une partie de l'Égypte.
(2) Science, vol. 317, mai 2007, pp. 519-523.
(3) Laboratoire CNRS / Université Lyon-I.
(4) Au Proche-Orient, le Néolithique a débuté vers 12500 av. J.-C. avec la sédentarisation des hommes et a vu l'émergence de l'agriculture et de la domestication des animaux.