Myōbu No Omoto, la chatte qui fut traitée comme une princesse

Une peinture traditionnelle japonaise de l’empereur Ichijō

S’ils sont aujourd’hui omniprésents dans la culture populaire japonaise, les chats arrivèrent pourtant tardivement au Pays du soleil levant. On estime en effet que les premiers à y mettre les pattes arrivèrent seulement en 538 ou 552 après J.-C.


La population féline connut ensuite une croissance rapide sur l’archipel, mais cet animal tarda à s’imposer comme un compagnon domestique auprès des nobles de la population japonaise. Le premier Japonais connu pour en avoir possédé un est l’empereur Uda (867-931) : il indique dans son journal intime avoir ramené de Chine un chat noir en 884, sans néanmoins préciser son nom. On ne sait pas non plus s’il avait un véritable intérêt pour cette espèce, ou bien s’il s’agissait simplement d’assouvir sa curiosité, ou encore s’il s’agissait en fait d’un présent de la part des Chinois.


Ce n’est qu’à partir de l’époque Heian (794-1185) que les nobles commencèrent vraiment à s’intéresser à la gent féline. Toutefois, ils ne considéraient pas tous les chats comme égaux. En effet, les émissaires chinois et coréens commencèrent alors à amener avec eux des chats blancs à la queue très courte, aujourd’hui connus sous le nom de Bobtails Japonais, pour les offrir aux membres de la cour impériale. Du fait de leur rareté, ceux-ci étaient considérés comme plus précieux et plus exotiques que leurs congénères. 


Véritable ailurophile (c’est-à-dire amateur de chat), l’empereur Ichijō (980-1011) appréciait tout particulièrement cette race. Au cours de son règne, qui dura de 986 jusqu’à sa mort, il adopta une femelle Bobtail japonaise qu’il nomma Myōbu no Otodo (littéralement « Dame d’honneur en chef du Palais intérieur ») et il fit en sorte qu’elle soit traitée comme une véritable princesse.


Dans le Japon de l’époque, Myōbu n’était pas un nom, mais un titre octroyé aux femmes nobles de la cour impériale. Baptiser ainsi cette chatte n’était pas commun et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, cela n’avait rien d’une plaisanterie : ce choix soulignait l’importance qu’elle avait aux yeux de l’empereur. Celui-ci mit d’ailleurs plusieurs dames d’honneur à son service, et les chargea de satisfaire ses moindres désirs. 


L’anecdote fut rapportée par l’autrice et poète japonaise Sei Shōnagon (c. 966 – 1017 ou 1025), qui servit l’empereur à la cour. Elle y consacre un chapitre entier dans son livre Les Notes de chevet (Makura no sōshi), achevé en 1002 et qui figure parmi les œuvres majeures de la littérature japonaise. Elle y raconte entre autres qu’une certaine Uda, chargée de prendre soin de Myōbu, ordonna un jour à un chien de la mordre, car elle refusait d’obéir à ses ordres. La chatte s’enfuit et vint trouver refuge dans la salle à manger du palais impérial, où se trouvait par hasard l’empereur. Déçu par le comportement d’Uda, il la releva de ses fonctions et la bannit du palais, tout comme d’ailleurs le chien qui avait osé s’attaquer à sa protégée. 


Aujourd’hui encore, les Bobtails Japonais sont des chats prisés dans l’archipel. On considère en effet qu’ils portent chance et procurent à leur propriétaire bonheur et prospérité.