Côtoyer une figure historique est un privilège qui n’est donné qu’à de rares représentants de la gent féline, mais partager le quotidien non pas d’un, mais de deux grands hommes de son temps est un honneur dont Micetto est peut-être le seul à pouvoir se targuer.
Rien ne destinait pourtant ce simple chat de gouttière gris-roux à une existence hors norme. Le hasard voulut simplement qu’il naquît au Vatican en 1825. Le pape Léon XII (1760-1829), qui fut à la tête de l’église catholique de 1823 à sa mort et qui ne partageait pas les superstitions de certains de ses prédécesseurs à l’égard de la gent féline, se prit d’affection pour ce chaton. Il décida alors de l’adopter et le baptisa Micetto (« Petit Minet », en italien).
Celui-ci eut ainsi l’honneur de croiser la route de nombreux invités éminents du pape, parmi lesquels quelques-unes des figures les plus importantes du 19ème siècle. Il faut dire que ce pape très conservateur entretenait de bonnes relations avec les dirigeants de l’empire d’Autriche, du royaume de Prusse et de l’empire russe, soit les trois états fondateurs de la Sainte-Alliance. Constituée en 1815 suite à la chute du Premier Empire de Napoléon 1er (1769-1821), celle-ci entendait s'imposer comme garante de la paix et des valeurs chrétiennes. Elle y parvient effectivement, et domina l’Europe jusque dans les années 1830.
C’est dans ce contexte que Micetto fut amené à croiser notamment la route de François-René de Chateaubriand (1768-1848), écrivain français et homme politique, nommé ambassadeur de France à plusieurs reprises et dans différents endroits - notamment en 1828 à Rome. Cette fonction lui permit de côtoyer le souverain pontife, avec une proximité facilitée par le fait que les deux hommes partageaient un certain nombre de vues monarchistes et conservatrices.
Dans Les Mémoires d’outre-tombe, œuvre autobiographique fleuve qui compte plus de 2000 pages et qui fut publiée à titre posthume en douze volumes en 1849 et 1850, il relate en ces termes sa rencontre avec le souverain pontife et son animal :
« Léon XII, prince d'une grande taille et d'un air à la fois serein et triste, est vêtu d'une simple soutane blanche ; il n'a aucun faste et se tient dans un cabinet pauvre, presque sans meubles. Il ne mange presque pas ; il vit, avec son chat, d'un peu de polenta. »
Remarquant au cours d’une de ses audiences pontificales que Châteaubriant semblait beaucoup apprécier Micetto, Léon XII lui proposa de l’adopter à son décès, ce que l’écrivain accepta. Il n’eut pas à attendre bien longtemps : le pape mourut dès l’année suivante, en 1829. Micetto partit donc vivre avec l’auteur français, d’abord à Rome, puis à Paris une fois que celui-ci y fit son retour quelques mois plus tard.
L’auteur l’appréciait beaucoup, et décida de l’évoquer à plusieurs reprises dans Les Mémoires d’outre-tombe – notamment en écrivant ceci à son sujet : « J’ai pour compagnon un gros chat gris-roux à bandes noires transversales, né au Vatican dans la loge de Raphaël : Léon XII l’avait élevé dans un pan de sa robe, où je l’avais vu avec envie, lorsque le pontife me donnait mes audiences d’ambassadeur ».
C’est ainsi qu’après avoir côtoyé les puissants de ce monde, Micetto laissa son empreinte dans l’un des ouvrages les plus célèbres de la littérature française.