
Admirés pour leur grâce et leur beauté tout en étant chargés d’un symbolisme fort, les chats ont depuis toujours inspiré les artistes. C’est notamment le cas des sculpteurs, si bien qu’au fil des siècles nombre d’entre eux en ont représenté dans leurs œuvres.
Les petits félins occupent même une place importante dans l’art sculptural de certaines cultures, même si bien sûr celle-ci a pu évoluer au fil du temps.
Voici une sélection de trente statues avec un chat visibles dans l’espace public aux quatre coins du monde, précédée d’une brève rétrospective du regard que les sculpteurs occidentaux ont porté sur les petits félins au gré des siècles.
Divinisés et vénérés dans l’Égypte antique, les chats y sont également assez présents sous formes de statues. En Grèce et à Rome, ils sont moins nombreux et moins appréciés, mais aussi moins présents dans l’art sculptural – même si une évolution se produit à la fin de l’Antiquité, sous l’influence égyptienne.
Le chat est assez présent dans la culture de l’Égypte antique (d’environ 3150 avant J.-C. à 30 avant J.-C.), où il est considéré comme sacré. Il est associé notamment à la déesse Bastet, protectrice de la fertilité et du foyer, souvent représentée sous forme de chat ou de femme à tête de chat.
Il n’est donc pas surprenant qu’on ait retrouvé de nombreuses statuettes votives en bronze, pierre ou faïence figurant des chats assis, élégants, au port altier, parfois parés de bijoux (par exemple des anneaux d’or accrochés aux oreilles ou des colliers), témoignant de leur statut de divinité. Ces œuvres très stylisées respectaient un canon esthétique basé sur la symétrie et la frontalité. Objets votifs ou funéraires, elles étaient disposées dans des temples ou des tombes comme offrandes et reflétaient le rôle du chat comme gardien spirituel, protecteur et bienveillant.
La plus célèbre d’entre elles est sans doute le Chat Gayer-Anderson, conservé au British Museum de Londres et qui remonte à la Basse époque (664 à 332 avant J.C.).
Le chat est nettement moins présent dans la sculpture de la Grèce antique (1200 à 31 avant J.-C.) que dans celle de l’Égypte, puisque ses représentations y sont au contraire extrêmement rares. Il faut dire qu’il n’a pas du tout à Athènes le rôle sacré qui est le sien de l’autre côté de la Méditerranée. Il n’y est d’ailleurs que rarement vu comme un animal de compagnie : on l’apprécie essentiellement pour son rôle purement utilitaire de chasseur de rongeurs, afin de protéger les réserves de nourriture. Et encore : même pour cette tâche, ce sont plutôt les belettes et les furets qui sont préférés.
La situation est comparable dans l’Antiquité romaine (753 avant J.-C. à 476 après J.-C.), au moins dans un premier temps. En effet, après la conquête de l’Égypte par les Romains en 30 avant J.-C, l’influence égyptienne se fait sentir notamment à travers l’amélioration de l’image du chat.
Cette évolution du point de vue porté sur cet animal a un impact sur la sculpture. Ainsi, à partir du 1er siècle après J.-C., on commence à voir apparaître des statuettes félines inspirées de l’art égyptien voire directement importées d’Égypte. C’est lié notamment à la diffusion du culte de la déesse égyptienne Isis : en effet, le syncrétisme religieux romain l’assimile parfois à la déesse Bastet, qui elle-même est associée aux chats.
La statue de chatte exposée via della gatta à Rome en est sans doute un bon exemple, car il s’agit probablement d’un vestige d’un ancien temple dédié à Isis. On trouve également des petits félins sur les bas-reliefs de stèles funéraires gallo-romaines, comme celle de Laetus retrouvée à Bordeaux (France), qui date du 1er ou du 2ème siècle et est conservée au Musée d’Aquitaine. Ceci illustre potentiellement une affection grandissante à l’époque pour la gent féline.
Le chat est globalement un animal mal-aimé en Europe au Moyen Âge et à l’Époque moderne. Fort logiquement, il est donc peu présent dans la sculpture de ces périodes, même si on en trouve quand même quelques représentations.
L’image du chat dans l’Europe du Moyen Âge est loin d’être positive. Il souffre en effet d’une mauvaise réputation, en particulier du fait que l’Église chrétienne l’associe au diable et à la sorcellerie. Les sculptures félines y sont donc rares, même si quelques bas-reliefs d’art religieux font figure d’exception – et sans surprise, elles renvoient généralement une image négative de l’animal.
On retrouve ainsi par exemple deux chats sur la haute croix celtique du monastère irlandais de Monasterboice, construit vers le 8ème siècle. L’un est en train de lécher un chaton, tandis que l’autre tient un oiseau entre ses griffes : une représentation qui semble souligner l’image de duplicité et de fourberie qui à l’époque colle à la peau de la gent féline.
On trouve d’ailleurs sur l’un des chapiteaux de l’église française de Neuvy-Saint-Sépulcre, bâtie au 13ème siècle, un chat couché entre deux singes – un autre animal lui aussi souvent associé à la ruse.
Sur ceux du cloître de la cathédrale espagnole de Tarragone, qui date des 12ème et 13ème siècles, c’est carrément toute une histoire mettant en scène un petit félin rusé qui est représentée. Ainsi, un premier bas-relief le montre faisant semblant d’être mort et porté par des rats, tandis que sur le second, il se jette sur ces derniers pour les dévorer.
S’étalant du 15ème siècle au début du 17ème, la Renaissance marque un regain d’intérêt pour les chats un peu partout en Europe. D’ailleurs, certains artistes ne se cachent alors pas d’apprécier leur esthétisme : c’est le cas notamment du célèbre Toscan Léonard de Vinci (1452-1519), qui les qualifie de « chef-d’œuvre », apprécie de les étudier et les représente dans différents croquis. Leur présence reste néanmoins marginale dans l’art sculptural, et ce jusqu’à la fin de l’Époque moderne (c’est-à-dire la fin du 18ème siècle).
Toutefois, avec le développement des ateliers de faïence au 18ème siècle (notamment à Rouen et Nevers en France, Delft en Hollande…), de plus en plus de petites figurines d’animaux – notamment des chats – sont produites en série, et trouvent leur place au sein des foyers les plus aisés.
À partir du 19ème siècle, les chats sont progressivement réhabilités dans l’imaginaire collectif et gagnent peu à peu une place en tant qu’animaux de compagnie au sein des foyers aisés. En parallèle, certains artistes s’attèlent à exploiter leur esthétique.
C’est le cas en particulier des sculpteurs animaliers, notamment le Français Antoine-Louie Barye (1795-1875) ou l’Italien Rembrandt Bugatti (1884-1916) : ils cherchent en particulier à capturer avec réalisme la grâce et l’agilité des mouvements des félins – qu’il s’agisse d’ailleurs de chats ou d’autres espèces. Il en va de même pour le Français Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923), surnommé « le chantre des chats de Montmartre », qui réalise des sculptures naturalistes de chats, en parallèle de ses dessins et affiches célèbres – notamment l'affiche du cabaret « Le Chat noir ».
Par ailleurs, contrairement à ce qui se fait de nos jours, le nombre d’exemplaires d’une même sculpture n’est alors pas réglementé : le même modèle peut être fondu des dizaines de fois. C’est ainsi que plusieurs séries de statuettes en bronze représentant des chats sont produites à cette époque, trouvant ensuite leur place dans les foyers aisés et les musées.
Plus tard, avec l’avènement de l’Art moderne à la fin du 19ème siècle, le chat devient un sujet libre, comme d’ailleurs tous les autres : on ne cherche plus forcément à le reproduire fidèlement. Il fait alors l’objet de représentations plus abstraites, où il est souvent stylisé, réduit à ses formes essentielles. C’est le cas notamment dans plusieurs œuvres de l’artiste espagnol Pablo Picasso (1881-1973) et du sculpteur roumain Constantin Brâncuși (1876-1957). Dans son style caractéristique, le sculpteur suisse Alberto Giacometti (1901-1966) décide quant à lui d’étirer son corps à l’extrême, notamment dans Le Chat (1951) ou Le Chat maître d’hôtel (1961-1964).
Les statues de chats restent cependant très discrètes dans l’espace public, même si certaines commencent à faire leur apparition dans les rues. Elles représentent le plus souvent un petit félin de fiction ou de légende qui bénéficie d’une certaine notoriété. Un des exemples les plus remarquables est la statue du Chat botté à Paris, figurant dans le Monument à Charles Perrault (1903) créé par l’artiste français Gabriel Edouard Baptiste Pech (1854-1930), ou encore la statue du légendaire chat de Dick Whittington, plus abstraite, œuvre du sculpteur anglais Jhonattan Keyworthy (né en 1943) inaugurée à Londres en 1965.
Des années 1970 à nos jours, les statues avec des chats se font beaucoup plus nombreuses. Il faut dire qu’on assiste à une multiplication des monuments rendant hommage à un chat en particulier ou aux chats en général, optant généralement pour une représentation réaliste, mais aussi des œuvres plus personnelles de sculpteurs ayant choisi pour sujet les petits félins.
Le rôle croissant des animaux de compagnie (et notamment des chats) dans nos sociétés n’est pas sans conséquence sur les statues qu’on trouve dans l’espace public. En effet, alors qu’autrefois celles-ci étaient quasiment exclusivement réservées aux grands hommes, il est de plus en plus courant d’en voir qui représentent des petits félins – notamment certains devenus célèbres et dont on a retenu le nom.
C’est le cas par exemple de Towser, le chat de la distillerie Glenturret à Crieff (Écosse), connu pour avoir été un grand chasseur et avoir ainsi préservé les stocks de grains : il est immortalisé en 1987 dans une statue visant à honorer sa mémoire. De manière assez similaire, le rôle de chasseur déterminant que jouèrent les chats en préservant les stocks de nourriture lors du siège de Leningrad (l’ancien nom de Saint-Pétersbourg) est également reconnu par plusieurs statues leur rendant hommage, installées dans les rues de la ville en 2000.
On trouve aussi des monuments érigés pour honorer la mémoire de chats de marins, restés également dans les mémoires pour leur rôle de souricier mais aussi pour avoir accompagné leurs illustres propriétaires dans leurs aventures parfois tragiques. Parmi eux figure notamment Trim, le chat de l’explorateur britannique Matthew Flinders (1774-1814), dont une statue fut inaugurée en 1996 à Sidney (Australie). On peut aussi citer Mrs Chippy, le chat de Harry McNish, le charpentier écossais de l’expédition polaire britannique Endurance (1914-1917), dont une statue fut érigée sur la tombe de ce dernier à Wellington (Nouvelle-Zélande).
Les souffrances voire sacrifices des chats sont d’ailleurs beaucoup plus reconnus que par le passé, et donnent lieu également à différentes statues qui sont autant de marques de reconnaissance. Cela s’applique bien sûr pour celle de Mrs Chippy, mais les autres exemples ne manquent pas. On peut citer notamment celle du chat expérimental à Saint-Pétersbourg (Russie), qui célèbre les petits félins ayant été sacrifiés au nom de la recherche scientifique, ou encore celle de Soledad et Tristán à Valence (Espagne), érigée pour dénoncer la maltraitance animale.
Enfin, certains petits félins se voient honorés (généralement après leur mort) par une statue à leur effigie simplement parce qu’ils avaient le mérite d’être attachants et populaires dans leurs quartiers. Entrent notamment dans cette catégorie la statue de Panteleimon, le chat chéri d’un quartier de Kiev (Ukraine) ; celle de Hamish McHamish, la mascotte de la petite ville écossaise de St Andrews ; ou encore celle de Tombili, le chat vedette d’Istanbul.
Quelle que soit la raison de l’hommage, la plupart de ces statues représentant un chat ayant marqué les esprits sont l’œuvre de jeunes artistes ou d’artistes locaux peu connus, et sont des bronzes naturalistes qui représentent l’animal aussi fidèlement que possible – souvent en taille réelle.
Si on trouve de nos jours dans l’espace public de plus en plus de statues de chats, ce n’est pas seulement lié à celles qui rendent hommage à des petits félins restés célèbres, mais aussi à d’autres qui sont plus simplement l’expression de l’attrait accru qu’exerce la gent féline sur les sculpteurs.
Certains d’entre eux se sont distingués en créant des statues réalistes destinées d’emblée à se fondre dans l’environnement urbain où elles avaient vocation à être installées. C’est ainsi que dès la fin des années 70, des statues de chat sont intégrées au paysage urbain de la ville anglaise de York. Il en va de même à partir des années 90 au milieu des constructions en pierre du pittoresque village français de La Romieu. Ces deux municipalités n’hésitent d’ailleurs pas à en faire une composante à part entière de leur identité.
Des créations plus audacieuses voient le jour à partir de la fin des années 80 à Kuching (Malaisie), où les statues contemporaines de chat monumentales se multiplient, devenant un symbole de la ville. On trouve aussi des statues monumentales stylisées ou naïves à Van (Turquie) depuis 1998 et à Sliema (Malte) depuis 2006, qui sont devenues des symboles de ces villes – et même dans une moindre mesure des attractions touristiques.
Enfin, certains sculpteurs contemporains de renom marquent les esprits en donnant libre court à leur créativité, avec à la clef des représentations bien spécifiques. C’est le cas notamment du Colombien Fernando Botero (1932-2023), créateur en 1987 de la statue Le Gros Chat, qui est exposée à Barcelone (Espagne) et représente comme son nom l’indique un petit félin opulent. Son compatriote Hernando Tejada (1924-1998) opte lui pour une représentation enfantine et stylisée avec Le Chat de le rivière, exposé dans les rues de Cali (Colombie) depuis 1996. L’artiste américain David Hlynsky (né en 1947) choisit pour sa part en 1997 d’être à la fois réaliste et décalé avec Home Again, Home Again et Jiggity Jig, érigés à Toronto (Canada). Quant au sculpteur japonais Kenji Yanobe (né en 1965), il imagine avec ses Ship's Cat des chats futuristes visibles depuis 2017 en différents endroits de son pays d’origine.