Mon chat, hôte de ma vieille maison,
De ton dos électrique arrondis la souplesse,
Viens te pelotonner sur mes genoux, et laisse
Que je plonge mes doigts dans ta chaude toison.
Ferme à demi, les reins émus d’un long frisson ;
Ton œil vert qui me raille et pourtant me caresse,
Ton œil vert semé d’or, qui, chargé de paresse,
M’observe d’ironique et bénigne façon.
Tu n’as jamais connu, philosophe, ô vieux frère,
La fidélité sotte et bruyante du chien :
Tu m’aimes cependant, et mon cœur le sent bien.
Ton amour clairvoyant, et peut être éphémère,
Me plaît, et je salue en toi, calme penseur,
Deux exquises vertus : scepticisme et douceur.
L’écrivain français Jules Lemaître (1853-1914) n’est pas resté dans l’histoire pour ses poèmes, ses romans ou ses pièces de théâtre ; c’est plutôt sa pensée critique qui retient l’attention. Il faut dire que tout au long de son œuvre, il amuse et charme le lecteur avec sa verve et son esprit brillant, sans pourtant jamais prendre parti dans l’absolu pour une idéologie en particulier : il préfère jouer avec des idées parfois très différentes les unes des autres, au gré des caprices de sa fantaisie.
Il semble que ce soit ce rejet du concept de vérité unique qui motive sa dévotion envers les félins. Dans le poème « Vieux frère », qui figure au sein du recueil Les Médaillons (1880), il décrit l’amitié complice qu’il entretient avec son chat, duquel il accepte l’amour éphémère et admire le scepticisme, qu’il élève au degré de vertu. Raillerie et paresse prennent des airs d’idéal à atteindre, incarnant la philosophie du bonheur propre au « vieux frère » à quatre pattes.