Hier, la chatt’ gris’ dans un p’quit coin
D’nout’ guernier, su’ eun’ botte de foin,
Alle avait am’né troués p’quits chats ;
Coumm’ j’pouvais pas nourri’ tout ça,
J’ les ai pris d’eun’ pougné’ tertous
En leu-z-y attachant eun’ grouss’ piarre au cou.
Pis j’m’ai mis en rout’ pour l’étang ;
Eun’ foués là, j’ les ai foutus d’dans ;
Ça a fait : ppllouff!… L’ieau a grouillé,
Et pis pus ren ! … Ils ‘tin néyés…
Et j’sé r’parti, chantant coumm’ ça :
« C’est la pauv’ chatt’ gris’ qu’a pardu ses chats. «
En m’en allant, j’ai rencontré
Eun’ fill’ qu’était en train d’pleurer,
Tout’ peineuse et toute en haillons,
Et qui portait deux baluchons.
L’un en main ! c’était queuqu’s habits ;
L’autr’, c’était son vent’e oùsqu’était son p’quit !
Et j’y ai dit : « Fill’, c’est pas tout ça ;
Quand t’auras ton drôl’ su’ les bras,
Coumment don’ qu’tu f’ras pour l’él’ver,
Toué qu’as seul’ment pas d’quoué bouffer?
Et, quand mêm’ que tu l’élév’rais,
En t’ saignant des quat’ vein’s… et pis après ?
Enfant d’peineuse, i’ s’rait peineux ;
Et quoiqu’i fasse i’ s’rait des ceux
Qui sont contribuab’s et soldats…
Et, – par la tête ou par les bras
ou par… n’importe ben par où ! –
I’ s’rait eun outil des ceux qu’a des sous.
Et p’t-êt qu’un jour, lassé d’subi’
La vie et ses tristes fourbis,
I’ s’en irait se j’ter à l’ieau
Ou s’foutrait eun’ balle dans la pieau,
Ou dans un bois i’ s’accroch’trait
Ou dans un « cintiéme » i’ s’asphysquerait.
Pisqu’ tu peux l’empêcher d’souffri,
Ton pequiot qu’est tout prêt à v’ni,
Fill’, pourquoué don’ qu’ tu n’ le f’rais pas ?
Tu voués : l’étang est à deux pas.
Eh ! bien, sitout qu’ ton p’quiot vienra,
Pauv’ fill’, envoueill’-le r’trouver mes p’tits chats !… «
Le poète français Gaston Couté (1880-1911) utilise largement l’argot pour passer ses messages antimilitaristes et anarchistes. Qualifiée d’inesthétique, son œuvre a été longtemps oubliée. Cependant, la génération de 1968 y trouvant un écho à ses idéologies, des recherches minutieuses sont entreprises pour la retracer et mettre en valeur son auteur. C’est ainsi qu’est publié en 1978 une compilation quasi complète de ses poèmes dans un recueil intitulé Vent du Ch’min.
En employant le langage populaire, Couté espère toucher le cœur de la classe ouvrière et in fine faciliter les réformes sociales qu’il prône avec tant de verve. En parlant de situations quotidiennes des pauvres gens, il mêle intimement leur situation personnelle à leur situation sociale, démontrant l’urgence concrète de réformer les normes morales et sociales afin d’enrayer la souffrance et la frustration du bas peuple. Il donne ainsi une voix à ceux et celles qui n’ont aucune chance de se faire entendre, telles que les femmes pauvres et démunies.
C’est le cas par exemple avec « Les p’tits chats », où il aborde la misère et ses victimes, tout en dénonçant l’hypocrisie de la morale anti-avortement de l’époque. Il dévoile la vérité sur tous les bébés non désirés, les enfants nés hors mariage ou dans l’extrême pauvreté, soi-disant mort-nés mais qu’on a en réalité fait disparaître en douce pour ne pas froisser les convenances. Malgré cela, la mère à qui on disait que son nouveau-né n’avait pas survécu savait qu’en fait, il avait fini comme les chatons : au fond de l’étang.
Même si ce poème a indéniablement un ton désespéré, Couté y apporte l’amour maternel comme lumière dans le monde de noirceur qui l’entoure.