« Les p’tits chats », par Gaston Couté

Un portrait de Gaston Couté

Texte du poème « Les p’tits chats »

Hier, la chatt’ gris’ dans un p’quit coin
D’nout’ guernier, su’ eun’ botte de foin,
Alle avait am’né troués p’quits chats ;
Coumm’ j’pouvais pas nourri’ tout ça,
J’ les ai pris d’eun’ pougné’ tertous
En leu-z-y attachant eun’ grouss’ piarre au cou.

 

Pis j’m’ai mis en rout’ pour l’étang ;
Eun’ foués là, j’ les ai foutus d’dans ;
Ça a fait : ppllouff!… L’ieau a grouillé,
Et pis pus ren ! … Ils ‘tin néyés…
Et j’sé r’parti, chantant coumm’ ça :
« C’est la pauv’ chatt’ gris’ qu’a pardu ses chats. « 

 

En m’en allant, j’ai rencontré
Eun’ fill’ qu’était en train d’pleurer,
Tout’ peineuse et toute en haillons,
Et qui portait deux baluchons.
L’un en main ! c’était queuqu’s habits ;
L’autr’, c’était son vent’e oùsqu’était son p’quit !

 

Et j’y ai dit : « Fill’, c’est pas tout ça ;
Quand t’auras ton drôl’ su’ les bras,
Coumment don’ qu’tu f’ras pour l’él’ver,
Toué qu’as seul’ment pas d’quoué bouffer?
Et, quand mêm’ que tu l’élév’rais,
En t’ saignant des quat’ vein’s… et pis après ?

 

Enfant d’peineuse, i’ s’rait peineux ;
Et quoiqu’i fasse i’ s’rait des ceux
Qui sont contribuab’s et soldats…
Et, – par la tête ou par les bras
ou par… n’importe ben par où ! –
I’ s’rait eun outil des ceux qu’a des sous.

 

Et p’t-êt qu’un jour, lassé d’subi’
La vie et ses tristes fourbis,
I’ s’en irait se j’ter à l’ieau
Ou s’foutrait eun’ balle dans la pieau,
Ou dans un bois i’ s’accroch’trait
Ou dans un « cintiéme » i’ s’asphysquerait.

 

Pisqu’ tu peux l’empêcher d’souffri,
Ton pequiot qu’est tout prêt à v’ni,
Fill’, pourquoué don’ qu’ tu n’ le f’rais pas ?
Tu voués : l’étang est à deux pas.
Eh ! bien, sitout qu’ ton p’quiot vienra,
Pauv’ fill’, envoueill’-le r’trouver mes p’tits chats !… « 

Informations sur l'auteur et explications

Le poète français Gaston Couté (1880-1911) utilise largement l’argot pour passer ses messages antimilitaristes et anarchistes. Qualifiée d’inesthétique, son œuvre a été longtemps oubliée. Cependant, la génération de 1968 y trouvant un écho à ses idéologies, des recherches minutieuses sont entreprises pour la retracer et mettre en valeur son auteur. C’est ainsi qu’est publié en 1978 une compilation quasi complète de ses poèmes dans un recueil intitulé Vent du Ch’min.

 

En employant le langage populaire, Couté espère toucher le cœur de la classe ouvrière et in fine faciliter les réformes sociales qu’il prône avec tant de verve. En parlant de situations quotidiennes des pauvres gens, il mêle intimement leur situation personnelle à leur situation sociale, démontrant l’urgence concrète de réformer les normes morales et sociales afin d’enrayer la souffrance et la frustration du bas peuple. Il donne ainsi une voix à ceux et celles qui n’ont aucune chance de se faire entendre, telles que les femmes pauvres et démunies.

 

C’est le cas par exemple avec « Les p’tits chats », où il aborde la misère et ses victimes, tout en dénonçant l’hypocrisie de la morale anti-avortement de l’époque. Il dévoile la vérité sur tous les bébés non désirés, les enfants nés hors mariage ou dans l’extrême pauvreté, soi-disant mort-nés mais qu’on a en réalité fait disparaître en douce pour ne pas froisser les convenances. Malgré cela, la mère à qui on disait que son nouveau-né n’avait pas survécu savait qu’en fait, il avait fini comme les chatons : au fond de l’étang.

 

Même si ce poème a indéniablement un ton désespéré, Couté y apporte l’amour maternel comme lumière dans le monde de noirceur qui l’entoure.

Sommaire de l'article

  1. Page 1 : Le chat dans la poésie
  2. Page 2 : « Épitaphe d’un chat », par Joachim du Bellay (1558)
  3. Page 3 : « Jubilate Agno », de Christopher Smart (1763)
  4. Page 4 : « Chats de partout », par Henry Monnier (1830)
  5. Page 5 : « Le chat noir de la palissade », par Henry Monnier
  6. Page 6 : « Le chat (1) », par Charles Baudelaire (1857)
  7. Page 7 : « Les chats », par Charles Baudelaire (1857)
  8. Page 8 : « Femme et chatte », par Paul Verlaine (1866)
  9. Page 9 : « À une chatte », par Charles Cros (1873)
  10. Page 10 : « Berceuse », par Charles Cros (1879)
  11. Page 11 : « Vieux frère », par Jules Lemaître (1880)
  12. Page 12 : « Le chat », par Maurice Rollinat (1883)
  13. Page 13 : « Elle aperçoit un Oiseau – piaule », de Emily Dickinson
  14. Page 14 : « Le petit chat », par Edmond Rostand (1890)
  15. Page 15 : « Le chat fatal », par Emile Nelligan (1899)
  16. Page 16 : « Les p’tits chats », par Gaston Couté
  17. Page 17 : « À la mémoire d’une chatte naine que j’avais », par Jules Laforgue (1901)
  18. Page 18 : « Le chat », par Guillaume Apollinaire (1911)
  19. Page 19 : « Chat », par Paul Eluard (1920)
  20. Page 20 : « Le chat et la Lune », de William Butler Yeats (1924)
  21. Page 21 : « Le chat qui ne ressemblait à rien », par Robert Desnos (1932)
  22. Page 22 : « Mon petit chat », par Maurice Carême (1947)
  23. Page 23 : « Le sommeil du chat », par Tristan Klingsor (1948)
  24. Page 24 : « Oda al Gato », par Pablo Neruda (1959)
  25. Page 25 : « Le chat et le soleil », par Maurice Carême (1972)
  26. Page 26 : « Devant la cheminée », par Pierre Menanteau (1972)
  27. Page 27 : « Poème du chat », par Jacques Roubaud (1983)
  28. Page 28 : « Goutte de lumière », par Marc Alyn (1986)
  29. Page 29 : « Un chat un chat », par François Gravel (2009)
  30. Page 30 : « Châtiment d’un chat renversé », par Sybille Rembard (2009)
  31. Page 31 : « Chat Fantôme », de Margaret Atwood (2020)