« Le petit chat », par Edmond Rostand (1890)

La page de couverture du recueil « Les musardises » écrit par Edmond Rostand

Texte du poème « Le petit chat »

C’est un petit chat noir, effronté comme un page.

Je le laisse jouer sur ma table, souvent.

Quelquefois il s’assied sans faire de tapage ;

On dirait un joli presse-papier vivant.

 

Rien de lui, pas un poil de sa toison ne bouge.

Longtemps, il reste là, noir sur un feuillet blanc,

A ces matous, tirant leur langue de drap rouge,

Qu’on fait pour essuyer les plumes, ressemblant.

 

Quand il s’amuse, il est extrêmement comique,

Pataud et gracieux, tel un ourson drôlet.

Souvent je m’accroupis pour suivre sa mimique

Quand on met devant lui la soucoupe de lait.

 

Tout d’abord de son nez délicat il le flaire,

Le frôle ; puis, à coups de langue très petits,

Il le lampe ; et dès lors il est à son affaire ;

Et l’on entend, pendant qu’il boit, un clapotis.

 

Il boit, bougeant la queue et sans faire une pause,

Et ne relève enfin son joli museau plat

Que lorsqu’il a passé sa langue rêche et rose

Partout, bien proprement débarbouillé le plat.

 

Alors, il se pourlèche un moment les moustaches,

Avec l’air étonné d’avoir déjà fini ;

Et, comme il s’aperçoit qu’il s’est fait quelques taches,

Il relustre avec soin son pelage terni.

 

Ses yeux jaunes et bleus sont comme deux agates ;

Il les ferme à-demi, parfois, en reniflant,

Se renverse, ayant pris son museau dans ses pattes,

Avec des airs de tigre étendu sur le flanc.

 

Mais le voilà qui sort de cette nonchalance,

Et, faisant le gros dos, il a l’air d’un manchon ;

Alors pour l’intriguer un peu, je lui balance,

Au bout d’une ficelle invisible un bouchon.

 

Il fuit en galopant et la mine effrayée,

Puis revient au bouchon, le regarde, et d’abord

Tient suspendue en l’air sa patte repliée,

Puis l’abat, et saisit le bouchon et le mord.

 

Je tire la ficelle, alors, sans qu’il le voie ;

Et le bouchon s’éloigne, et le chat noir le suit,

Faisant des ronds avec sa patte qu’il envoie,

Puis saute de côté, puis revient, puis refuit.

Mais dès que je lui dis : "Il faut que je travaille ;

Venez vous asseoir là, sans faire le méchant !"

Il s’assied ... Et j’entends, pendant que j’écrivaille,

Le petit bruit mouillé qu’il fait en se léchant.

Informations sur l'auteur et explications

Avant de composer Cyrano de Bergerac et d’entrer ainsi dans la postérité, l’écrivain français Edmond Rostand (1868-1918) publie en 1890 un recueil de poèmes intitulé Les musardises. Comme le nom l’indique, il s’agit d’une compilation de flâneries de jeunesse.

 

Parmi ses rêvasseries, le poète livre dans « Le petit chat » le récit d’un souvenir fugace de sa relation avec son petit félin, qui est relâché et se laisse admirer à souhait. La belle complicité avec l’animal est racontée sur un ton léger, à la manière d’un enfant qui décrit son quotidien avec son copain de jeu à quatre pattes. Puis le travail appelle, et le félin doit retrouver sa place en arrière-plan : le moment de détente est terminé.

Sommaire de l'article

  1. Page 1 : Le chat dans la poésie
  2. Page 2 : « Épitaphe d’un chat », par Joachim du Bellay (1558)
  3. Page 3 : « Jubilate Agno », de Christopher Smart (1763)
  4. Page 4 : « Chats de partout », par Henry Monnier (1830)
  5. Page 5 : « Le chat noir de la palissade », par Henry Monnier
  6. Page 6 : « Le chat (1) », par Charles Baudelaire (1857)
  7. Page 7 : « Les chats », par Charles Baudelaire (1857)
  8. Page 8 : « Femme et chatte », par Paul Verlaine (1866)
  9. Page 9 : « À une chatte », par Charles Cros (1873)
  10. Page 10 : « Berceuse », par Charles Cros (1879)
  11. Page 11 : « Vieux frère », par Jules Lemaître (1880)
  12. Page 12 : « Le chat », par Maurice Rollinat (1883)
  13. Page 13 : « Elle aperçoit un Oiseau – piaule », de Emily Dickinson
  14. Page 14 : « Le petit chat », par Edmond Rostand (1890)
  15. Page 15 : « Le chat fatal », par Emile Nelligan (1899)
  16. Page 16 : « Les p’tits chats », par Gaston Couté
  17. Page 17 : « À la mémoire d’une chatte naine que j’avais », par Jules Laforgue (1901)
  18. Page 18 : « Le chat », par Guillaume Apollinaire (1911)
  19. Page 19 : « Chat », par Paul Eluard (1920)
  20. Page 20 : « Le chat et la Lune », de William Butler Yeats (1924)
  21. Page 21 : « Le chat qui ne ressemblait à rien », par Robert Desnos (1932)
  22. Page 22 : « Mon petit chat », par Maurice Carême (1947)
  23. Page 23 : « Le sommeil du chat », par Tristan Klingsor (1948)
  24. Page 24 : « Oda al Gato », par Pablo Neruda (1959)
  25. Page 25 : « Le chat et le soleil », par Maurice Carême (1972)
  26. Page 26 : « Devant la cheminée », par Pierre Menanteau (1972)
  27. Page 27 : « Poème du chat », par Jacques Roubaud (1983)
  28. Page 28 : « Goutte de lumière », par Marc Alyn (1986)
  29. Page 29 : « Un chat un chat », par François Gravel (2009)
  30. Page 30 : « Châtiment d’un chat renversé », par Sybille Rembard (2009)
  31. Page 31 : « Chat Fantôme », de Margaret Atwood (2020)