« Jubilate Agno », de Christopher Smart (1763)

Un portrait de Christopher Smart

Extrait du poème « Jubilate Agno »

Car je vais considérer mon chat Jeoffry.

Car il est le serviteur du Dieu vivant dûment et quotidiennement à son service.

Car au premier regard de la gloire de Dieu en Orient, il se prosterne à sa manière.

Pour ce faire, il fait sept fois le tour de son corps avec une rapidité élégante.

Il se lève alors pour attraper le musc, qui est la bénédiction de Dieu sur sa prière.

Car il roule sur la farce pour le faire entrer…

 

S'il rencontre un autre chat, il l'embrasse avec gentillesse.

Quand il prend sa proie, il joue avec elle pour lui donner une chance.

Car une souris sur sept s'échappe à cause de ses tergiversations.

Car lorsque sa journée de travail est terminée, ses affaires commencent plus proprement.

Car il veille la nuit sur l'adversaire.

Car il s'oppose aux puissances des ténèbres par sa peau électrique et ses yeux brillants.

Car il s'oppose au Diable, qui est la mort, en s'attaquant à la vie.

Car dans ses oraisons matinales, il aime le soleil et le soleil l'aime.

 

Car il est de la tribu du Tigre…

Car il est un mélange de gravité et de gaieté.

Car il sait que Dieu est son Sauveur.

Informations sur l'auteur et explications

Poème monumental composé de 1759 à 1763 et s’étalant sur plus d’une centaine de pages, « Jubilate Agno » (« Réjouissez-vous l’Agneau », en français) est à la fois l’un des poèmes religieux les plus célèbres de la littérature britannique et l’expression de la folie de son auteur, Christopher Smart (1722-1771). 

 

Alors qu’il est enfermé dans un asile psychiatrique où il est traité pour des troubles mentaux, il se met à écrire. Ayant une passion pour la religion, il décide de mettre ce sujet au cœur de son œuvre.

 

Avec « Jubilate Agno », Christopher Smart entend carrément développer un langage poétique lui permettant d’atteindre ce qu’il appelle mystérieusement « l’unique et éternel poème de Dieu ». Si l’objectif est unique, la méthode l’est parfois tout autant. En particulier, la dernière sous-partie partie du deuxième des quatre « fragments » du poème n’est pas tant dédiée à sa propre spiritualité qu’à celle de son chat.

 

Ce passage de 72 vers commençant par « For I will consider my cat Jeoffry » a beau être curieux, il n’en est pas moins considéré comme l’un des plus beaux textes dédiés à la gent féline de toute la poésie en langue anglaise. 

 

L’auteur y décrit avec le plus grand sérieux son chat comme un fervent serviteur de Dieu. Il voit par exemple dans la façon qu’il a de tourner sept fois d’affilée sur lui-même une manière à lui de se prosterner devant le divin. Smart affirme en outre que la nuit venue, son petit animal se transforme en véritable figure héroïque, s’opposant aux puissances des ténèbres, au Diable et à la mort elle-même. 

 

Cet étrange éloge peut faire rire, mais il est en tout cas très apprécié par certains amoureux de la gent féline - en particulier ceux qui partagent la foi du poète. En tout état de cause, il permet au poème d’acquérir une certaine notoriété lors de sa publication en 1939, soit près de deux siècles après avoir été rédigé. Cette partie de l’œuvre devient d’ailleurs si célèbre au Royaume-Uni qu’elle est à plusieurs reprises éditée à part dans des livres destinés aux enfants, sous le simple titre de « For I will consider my cat Jeoffry ». 

 

Dans un ouvrage intitulé simplement Christopher Smart et publié en 2005 (non traduit en français), le poète et professeur de littérature anglais Neil Curry (né en 1937) va même jusqu’à affirmer que Jeoffry est « le chat le plus célèbre de toute la littérature anglaise. »

 

Quant à Jubilate Agno dans son ensemble, il fait l’objet de plusieurs analyses en français, alors même qu’il n’a jamais été intégralement traduit et publié dans la langue de Molière. Il existe toutefois une traduction amateur du passage consacré à Jeoffry qui est largement diffusée sur internet : c'est d'ailleurs celle qui figure ci-dessus. Elle s’avère toutefois bien trop littérale, ne faisant pas honneur à la qualité du texte original.

Dernière modification : 09/26/2025.

Sommaire de l'article

  1. Page 1 : Le chat dans la poésie
  2. Page 2 : « Épitaphe d’un chat », par Joachim du Bellay (1558)
  3. Page 3 : « Jubilate Agno », de Christopher Smart (1763)
  4. Page 4 : « Chats de partout », par Henry Monnier (1830)
  5. Page 5 : « Le chat noir de la palissade », par Henry Monnier
  6. Page 6 : « Le chat (1) », par Charles Baudelaire (1857)
  7. Page 7 : « Les chats », par Charles Baudelaire (1857)
  8. Page 8 : « Femme et chatte », par Paul Verlaine (1866)
  9. Page 9 : « À une chatte », par Charles Cros (1873)
  10. Page 10 : « Berceuse », par Charles Cros (1879)
  11. Page 11 : « Vieux frère », par Jules Lemaître (1880)
  12. Page 12 : « Le chat », par Maurice Rollinat (1883)
  13. Page 13 : « Elle aperçoit un Oiseau – piaule », de Emily Dickinson
  14. Page 14 : « Le petit chat », par Edmond Rostand (1890)
  15. Page 15 : « Le chat fatal », par Emile Nelligan (1899)
  16. Page 16 : « Les p’tits chats », par Gaston Couté
  17. Page 17 : « À la mémoire d’une chatte naine que j’avais », par Jules Laforgue (1901)
  18. Page 18 : « Le chat », par Guillaume Apollinaire (1911)
  19. Page 19 : « Chat », par Paul Eluard (1920)
  20. Page 20 : « Le chat et la Lune », de William Butler Yeats (1924)
  21. Page 21 : « Le chat qui ne ressemblait à rien », par Robert Desnos (1932)
  22. Page 22 : « Mon petit chat », par Maurice Carême (1947)
  23. Page 23 : « Le sommeil du chat », par Tristan Klingsor (1948)
  24. Page 24 : « Oda al Gato », par Pablo Neruda (1959)
  25. Page 25 : « Le chat et le soleil », par Maurice Carême (1972)
  26. Page 26 : « Devant la cheminée », par Pierre Menanteau (1972)
  27. Page 27 : « Poème du chat », par Jacques Roubaud (1983)
  28. Page 28 : « Goutte de lumière », par Marc Alyn (1986)
  29. Page 29 : « Un chat un chat », par François Gravel (2009)
  30. Page 30 : « Châtiment d’un chat renversé », par Sybille Rembard (2009)
  31. Page 31 : « Chat Fantôme », de Margaret Atwood (2020)