Elle jouait avec sa chatte,
Et c’était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S’ébattre dans l’ombre du soir.
Elle cachait - la scélérate ! -
Sous ses mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d’agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.
L’autre aussi faisait la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais le diable n’y perdait rien...
Et, dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aérien
Brillaient quatre points de phosphore.
Épris de sa cousine Élisa, le poète français Paul Marie Verlaine (1844-1896) ne supporte pas le mariage puis le décès en couche de celle-ci. Cette tragédie le pousse dans l’alcool et la violence, et fait naître en lui des sentiments contradictoires d’admiration et d’aversion face aux trop grandes beautés de ce monde.
Influencé par la fascination de son époque envers la puissante reine Cléopâtre et son charme aussi calculateur que ravageur, il consacre le chapitre « Caprices » de ses Poèmes saturniens (1866) aux relations amoureuses et surtout à la femme sous toutes ses formes. Dans « Femme et chatte », il démonise la gent féminine et dénonce sa perversion et sa férocité. On peut ressentir le dilemme qui se joue dans son esprit, perdu entre la dévotion et la haine. Les ongles d’agates dans les mitaines noires signifient richesse et pouvoir, atouts féminins dangereux, coupants tels des rasoirs.
Pour Verlaine, une femme ayant beauté, prospérité et autorité est forcément diabolique : ainsi excuse-t-il, au moyen de son œuvre, la frustration et la violence qu’il leur démontre physiquement à maintes occasions dans son quotidien. Même sa propre mère n’est pas épargnée…