Elle aperçoit un Oiseau – piaule –
Se tapit – puis rampe –
Lance ses pattes invisibles –
Les Balles de ses yeux –
Ses Mâchoires frémissent – se contractent – affamées –
Ses Dents ne peuvent attendre –
Elle bondit – mais le Rouge-Gorge saute le premier –
Ah, petite Chatte des Sables – Les Espoirs devenus juteux –
Tu y as presque trempé les Lèvres –
Lorsque le pur Délice ouvrit cent Orteils –
Et disparut avec eux –
L’inclassable et avant-gardiste poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886) est à l’origine d’une œuvre dantesque de près de 1800 poèmes souvent très courts, dont seuls une dizaine publiés de son vivant.
Comme elle est très attachée à la nature, dont elle observe à la fois la beauté et la cruauté, il n’est pas étonnant que plusieurs de ses écrits soient consacrés au monde animal. C’est le cas notamment d’un de ses nombreux poèmes sans titre dans lequel elle analyse avec minutie les mouvements d’un petit félin qui s’apprête à bondir sur une souris.
Aussi court soit-il, ce texte montre à quel point Dickinson est en avance sur son temps. En effet, avec son rythme saccadé et sa tonalité résolument pessimiste, il apparaît comme précurseur de la poésie moderniste du début du 20ème siècle. Les espoirs déçus de ce protagoniste amoral et impitoyable auraient d’ailleurs tout à fait trouvé leur place dans cette dernière, qui traite bien souvent de personnages confrontés aux dures réalités de la vie.
Ce n’est pas le seul poème dans lequel Dickinson mentionne la gent féline : plusieurs autres textes de son œuvre mettent en scène un représentant de cette espèce en train de chasser des souris.