« Berceuse », par Charles Cros (1879)

Un portrait en noir et blanc de Charles Cros

Texte du poème « Berceuse »

Endormons-nous, petit chat noir.
Voici que j'ai mis l'éteignoir
Sur la chandelle.
Tu vas penser à des oiseaux
Sous bois, à de félins museaux...
Moi rêver d'elle.

 

Nous n'avons pas pris de café,
Et dans mon lit bien chauffé
(Qui veille pleure.)
Nous dormirons, pattes dans bras.
Pendant que tu ronronneras,
J'oublierai l'heure.

 

Sous tes yeux fins, appesantis,
Reluiront les oaristys
De la gouttière.
Comme chaque nuit, je croirai
La voir, qui froide a déchiré
Ma vie entière.

 

Et ton cauchemar sur les toits
Te diras l'horreur d'être trois
Dans une idylle.
Je subirais les yeux railleurs
De son faux cousin, et ses pleurs
De crocodile.

 

Si tu t'éveilles en sursaut
Griffé, mordu, tombant du haut
Du toit, moi-même
Je mourrai sous le coup félon
D'une épée au bout du bras long
Du fat qu'elle aime.

 

Puis hors du lit, au matin gris,
Nous chercherons, toi, des souris,
Moi, des liquides
Qui nous fassent oublier tout,
Car au fond, l'homme et le matou
Sont bien stupides.

Informations sur l'auteur et explications

Le concepteur du phonographe, du télégraphe automatique et de la photographie couleur qu’est Charles Cros (1842-1888) invente également de délicieux poèmes. Mais malgré ses talents extraordinaires, il ne connait que le malheur : ses contemporains méprisent ses découvertes scientifiques et ignorent son œuvre poétique, tandis que sa femme le trompe avec un amant qu’elle présente faussement comme étant son cousin. Son mal de vivre transparaît beaucoup au travers de ses poèmes, mais il l’exprime toujours avec élégance et humour.

 

C’est le cas notamment dans Berceuse (1879), où il dépeint sa solidarité avec son chat, utilisant les misères du félin pour atténuer l’intensité des siennes. En effet, il met sur le même degré de gravité l’infidélité de son épouse et la trahison d’une chatte envers son petit félin. On y retrouve la complicité entre le poète et son ami à quatre pattes, leur déception commune face à l’adultère d’une femme et leur quête de réconfort dans l’intimité de leur chambre et dans leur enlacement « pattes dans bras ».

 

Comme le feraient de vieux amis, les problèmes ne sont abordés qu’à demi-mot : nul besoin de nommer « Elle ». Chacun des amants trompés compatit à l’histoire de l’autre, et cherche une consolation chaleureuse pour surmonter sa solitude. Le sommeil semble doux, car la souffrance pèse trop quand on ne dort pas (« Qui veille pleure »). Au matin, chacun retrouve sa compensation pour oublier : le chat retourne à ses souris, tandis que le poète sombre dans « les liquides » alcooliques - en particulier l’absinthe, qui causera sa perte…

Dernière modification : 09/26/2025.

Sommaire de l'article

  1. Page 1 : Le chat dans la poésie
  2. Page 2 : « Épitaphe d’un chat », par Joachim du Bellay (1558)
  3. Page 3 : « Jubilate Agno », de Christopher Smart (1763)
  4. Page 4 : « Chats de partout », par Henry Monnier (1830)
  5. Page 5 : « Le chat noir de la palissade », par Henry Monnier
  6. Page 6 : « Le chat (1) », par Charles Baudelaire (1857)
  7. Page 7 : « Les chats », par Charles Baudelaire (1857)
  8. Page 8 : « Femme et chatte », par Paul Verlaine (1866)
  9. Page 9 : « À une chatte », par Charles Cros (1873)
  10. Page 10 : « Berceuse », par Charles Cros (1879)
  11. Page 11 : « Vieux frère », par Jules Lemaître (1880)
  12. Page 12 : « Le chat », par Maurice Rollinat (1883)
  13. Page 13 : « Elle aperçoit un Oiseau – piaule », de Emily Dickinson
  14. Page 14 : « Le petit chat », par Edmond Rostand (1890)
  15. Page 15 : « Le chat fatal », par Emile Nelligan (1899)
  16. Page 16 : « Les p’tits chats », par Gaston Couté
  17. Page 17 : « À la mémoire d’une chatte naine que j’avais », par Jules Laforgue (1901)
  18. Page 18 : « Le chat », par Guillaume Apollinaire (1911)
  19. Page 19 : « Chat », par Paul Eluard (1920)
  20. Page 20 : « Le chat et la Lune », de William Butler Yeats (1924)
  21. Page 21 : « Le chat qui ne ressemblait à rien », par Robert Desnos (1932)
  22. Page 22 : « Mon petit chat », par Maurice Carême (1947)
  23. Page 23 : « Le sommeil du chat », par Tristan Klingsor (1948)
  24. Page 24 : « Oda al Gato », par Pablo Neruda (1959)
  25. Page 25 : « Le chat et le soleil », par Maurice Carême (1972)
  26. Page 26 : « Devant la cheminée », par Pierre Menanteau (1972)
  27. Page 27 : « Poème du chat », par Jacques Roubaud (1983)
  28. Page 28 : « Goutte de lumière », par Marc Alyn (1986)
  29. Page 29 : « Un chat un chat », par François Gravel (2009)
  30. Page 30 : « Châtiment d’un chat renversé », par Sybille Rembard (2009)
  31. Page 31 : « Chat Fantôme », de Margaret Atwood (2020)