Ô mon beau chat frileux, quand l'automne morose
Faisait glapir plus fort les mômes dans les cours,
Combien passâmes-nous de ces spleeniques jours
À rêver face à face en ma chambre bien close.
Lissant ton poil soyeux de ta langue âpre et rose
Trop grave pour les jeux d'autrefois et les tours,
Lentement tu venais de ton pas de velours
Devant moi t'allonger en quelque noble pose.
Et je songeais, perdu dans tes prunelles d'or
- Il ne soupçonne rien, non, du globe stupide
Qui l'emporte avec moi tout au travers du Vide,
Rien des Astres lointains, des Dieux ni de la Mort ?
Pourtant !... quels yeux profonds !... parfois... il m'intimide
Saurait-il donc le mot ? - Non, c'est le Sphinx encor.
Grand timide incapable de s’exprimer en public, le poète franco-uruguayen Jules Laforgue (1860-1887) échoue trois fois au baccalauréat de philosophie. Ces échecs répétés le poussent vers la littérature : il se met à fréquenter les bibliothèques durant des heures, oubliant même de se nourrir. En 1881, il entre au service personnel de l’impératrice allemande Augusta pour lui faire la lecture en français deux heures par jour, et consacre son temps libre à écrire des poèmes.
Au travers de son œuvre, il livre une image pessimiste et mélancolique du monde qui l’entoure. Ce spleen est palpable notamment dans « À la mémoire d’une chatte naine que j’avais », poème publié à titre posthume en 1901 dans un recueil intitulé Le sanglot de la terre. On peut y ressentir toute la profonde tristesse nostalgique qui envahit le poète : langueur des jours heureux d’autrefois, ou amertume d’une vie rêvée mais jamais atteinte…