Né en 1948, Art Spiegelman est une des grandes figures de la bande dessinée indépendante américaine. Dans les années 80, il décide d’interviewer son père, Vladek Spiegelman, afin de retracer son parcours de survivant de l’Holocauste. De ces entretiens naît progressivement Maus, une œuvre mêlant récit familial et mémoire historique, publiée dans le magazine de comics Raw de 1980 à 1991.
Pour représenter les différentes communautés et les rapports de domination dans le contexte des années 30 et 40, l’auteur adopte un anthropomorphisme symbolique : les Juifs deviennent des souris et les Allemands des chats. S’inscrivant dans une longue tradition littéraire et satirique consistant à utiliser des personnages animaliers pour représenter les comportements humains et dénoncer les rapports de pouvoir, ce choix graphique permet à la fois de simplifier visuellement les conflits et de renforcer la portée symbolique de l’histoire, transformant le traumatisme en une fable à la fois puissante et universelle.
C’est aussi une manière pour l’auteur de détourner les codes de la bande dessinée américaine, dans laquelle les animaux anthropomorphiques sont très présents. Ici, les chats n’ont rien de naïf ou d’attachant : ils sont vêtus d’uniformes militaires et représentent une présence menaçante. Le visage du dictateur allemand Adolf Hitler (1889-1945), transformé en tête de chat et apparaissant sur une croix gammée en couverture du premier album, est d’ailleurs devenu l’un des dessins de chats les plus célèbres de la bande dessinée américaine.
Maus se distingue assurément par son originalité, mais n’est pas sans ses détracteurs. Certaines personnes estiment en effet qu’utiliser des animaux pour représenter les populations peut créer une distance émotionnelle avec le drame vécu par les victimes du nazisme, voire déshumaniser celles-ci.
L’accueil du public et de la critique reste néanmoins majoritairement très positif. Grâce à sa capacité à traiter un sujet historique majeur à travers la bande dessinée, Maus attire une attention inédite pour une œuvre indépendante. En 1992, elle reçoit même le Prix Pulitzer spécial, une distinction rare pour une BD. L’œuvre est depuis diffusée et étudiée dans de nombreuses écoles, contribuant ainsi à perpétuer le devoir de mémoire vis-à-vis de la Shoah.