Compte tenu de sa place importante dans la culture japonaise, il n’est guère étonnant de constater que le chat inspire depuis longtemps les poètes de l’archipel. C’est le cas notamment de ceux qui composent des haïkus, ces poèmes particulièrement brefs qui constituent un genre littéraire à part entière.
En quoi consiste exactement ce dernier, et comment est-il apparu ? À partir de quand les chats sont-ils devenus un sujet de prédilection pour les « haïjins », c’est-à-dire les auteurs de haïkus ? Certains d’entre eux se distinguent-ils par la place qu’ils accordent à la gent féline dans leur œuvre ?
Entre le 7 et le 15ème siècle, des poètes japonais ont coutume de se rassembler pour composer des poèmes à plusieurs mains. Le principe de l’élaboration de ces « rengas » (ce qui signifie littéralement « poésie en collaboration ») est simple : une première personne compose deux versets de cinq lignes chacun, puis une autre s’en inspire pour continuer le poème, et ainsi de suite.
Le nombre de « co-auteurs » est variable, mais tous doivent cependant suivre des règles d’écriture bien précises. Les lignes de chaque verset doivent ainsi comporter chacune un nombre spécifique de sons qu’on appelle des mores et qui ne sont pas tout à fait la même chose que des syllabes. On trouve ces unités rythmiques notamment dans le latin et le grec ancien, mais aussi le japonais, le finnois et le gilbertin (parlé notamment sur une des îles des Fidji ainsi qu’à Hawaï). Elles peuvent coïncider avec des syllabes, ou bien être plus courtes. Par exemple, le mot « Tokyo » comporte deux syllabes en français (to-kyo), mais en japonais, il est composé de quatre mores : to-u-kyo-u.
Nommé « hokku », le premier verset d’un renga doit compter exactement 5, puis 7 puis encore 5 mores.
À partir du 17ème siècle, on commence à publier des hokkus de façon indépendante, notamment dans des « haïbuns », des compositions littéraires qui comportent à la fois des passages en prose et de la poésie.
Matsuo Bashō (1644-1694), le plus célèbre des poètes japonais, s’intéresse alors fortement aux hokkus, au point d’en faire sa spécialité. De son vivant, il en compose plusieurs milliers, parfois pour des haïbuns sur lesquels il travaille, comme La Sente étroite du Bout-du-Monde (Oku no hosomichi, en version originale), son chef d’œuvre publié à titre posthume en 1702, et parfois sous forme de textes autonomes. Le haïku est né, même s’il ne porte alors pas encore ce nom.
Il faut en effet attendre Masaoka Shiki (1867-1902) pour qu’un poète japonais remplace le terme « hokku » par le néologisme « haïku ». Il entend ainsi marquer définitivement la rupture entre cette forme poétique et le renga, c’est-à-dire montrer que le haïku constitue un genre littéraire à part entière. Shiki forme ce nouveau terme à partir des kanji « hai » (俳), qui signifie « plaisanterie » ou « jeu », et « ku » (句), qui désigne une fraction d’un texte en prose ou en vers.
Rétrospectivement, tous les hakkus composés par Bashō, considéré comme l’inventeur de cette forme poétique, ainsi que par les autres grands maîtres du genre qui lui ont succédé, sont appelés des « haikus ». Néanmoins, jamais ces poètes n’ont utilisé ce terme, puisqu’il n’existait pas encore ; ainsi, Bashō lui-même se considérait comme un auteur de rengas.
Tout poème court n’est pas un haïku. En effet, pour prétendre à cette appellation, un texte doit suivre des règles de composition très précises.
Un haïku doit toujours être composé de très exactement trois lignes.
En outre, il doit suivre les règles suivantes :
Traditionnellement, un haïku doit contenir un « kigo » (et un seul) c’est-à-dire un terme en rapport avec les saisons.
Il ne s’agit pas d’inclure directement le nom d’une de celles-ci dans le poème, mais d’employer des termes évocateurs, comme « sakura » (« cerisiers en fleurs ») pour le printemps, « semi no koe » (« chant des cigales ») pour l’été, « momiji » (« feuilles rouges ») pour l’automne ou encore « yuki » (« neige ») pour l’hiver.
Un haïku contient aussi traditionnellement un « kireji », c’est-à-dire un mot de césure qui en soi ne signifie rien de concret, mais permet de marquer une pause rythmique au milieu d’une ligne ou d’accentuer le dernier mot d’une phrase afin de renforcer le sentiment qu’il véhicule.
Il existe une quinzaine de kirejis fréquemment employés dans les haïkus. Les plus courants sont « ya », « keri » et « kana ».
« Ya » permet d’insister sur le moment présent en marquant une pause. On le retrouve par exemple dans le haïku suivant de Matsuo Bashō :
Neko no koi
owaru ya kozue no
oborozuki
Qu’on peut traduire par :
L’amour des chats
se termine, ah !
la lune voilée parmi les cimes des arbres
Ici, le « ya » permet d’insister sur la fin de la saison de la reproduction des chats qu’évoque l’auteur dans le début de son texte.
« Keri » permet quant à lui d’exprimer un fort sentiment de surprise, d’admiration ou de mélancolie vis-à-vis d’un événement passé où d’une scène dont le poète est le témoin. Bashō l’utilise dans le poème suivant :
Horanda mo
hana ni ki ni keri
uma ni kura
Ce texte peut se traduire ainsi :
Même les Hollandais
Sont venus pour la floraison !
Ensellons nos chevaux !
« Keri » exprime ici la surprise de l’auteur à la vue de ces étrangers qui sont venus assister à ce moment important de l’année pour les Japonais.
Enfin, en japonais traditionnel, « kana » traduit simplement l’étonnement ou l’admiration vis-à-vis du terme qu’il suit. Bashō l’utilise par exemple dans le texte suivant :
Kono michi ya
yuku hito nashi ni
Aki no kure kana
Ce poème se traduit ainsi :
Sur cette route —
plus personne ne passe,
crépuscule d’automne...
« kana » renforce ainsi le sentiment de mélancolie qui se dégage lorsque l’auteur évoque la fin de cette saison.
Si les règles rythmiques rendent déjà les haïkus difficilement traduisibles en français, le kireji constitue assurément un obstacle supplémentaire. En effet, il n’existe aucun équivalent à ces termes dans la langue de Molière. Les traducteurs ont donc tendance à reproduire leur effet en utilisant une ponctuation forte : un tiret, des points de suspension, un point d’exclamation voire une interjection (par exemple « ah ! »).
Les haïkus reposent sur un principe fondamental de l’esthétique japonaise : le « wabi-sabi ».
Ancré dans la pensée bouddhiste, ce terme fait référence à un mélange de sérénité et de mélancolie que l’on ressent lorsqu’on fait face à quelque chose qui trahit le passage du temps.
Cette philosophie valorise ainsi l’imperfection, l’éphémère et la simplicité.
Les haïkus ne traitent pas de grands sujets de société, mais de moments du quotidien. Ils cherchent à exprimer un ressenti vis-à-vis d’une scène banale et bien souvent éphémère. Le but n’est pas non plus de raconter de tels instants en détail, mais d’inviter le lecteur à contempler une scène qu’on construit à travers quelques termes évocateurs. C’est à lui ensuite de se faire sa propre interprétation.
Par exemple, quand Kobayashi Issa (1763-1828) écrit « Le chat errant / utilise le genou du Bouddha / comme oreiller ! », c’est au lecteur qu’il revient de décider s’il élève alors le petit félin au rang d’animal sacré ou s’il dénigre le Bouddha...
Par ailleurs, il n'est pas non plus question de recourir à des métaphores obscures et complexes dans un haïku. C’est la simplicité de ces poèmes qui fait leur qualité, un principe esthétique que les Japonais appellent « karumi ».
Dans un haïku, les silences sont aussi importants que les mots. Une pause n’est jamais un vide : c’est un silence chargé de tension, ou un moment qui suscite l’attente.
Appelé « ma », ce concept fondamental de la culture japonaise n’est d’ailleurs pas propre à la poésie : on le retrouve aussi dans la musique, le kabuki (une forme de théâtre traditionnel), l’architecture et même l’agencement des jardins.
Si l’on devait suivre à la lettre les règles rythmiques propres au haïku, il serait en réalité impossible d’écrire de tels poèmes dans la langue de Molière. En effet, le français n’est pas une langue morique, mais syllabique. Or, les syllabes et les mores ne sont pas des unités rythmiques identiques (une voyelle longue compte pour deux mores).
Cela oblige les écrivains souhaitant écrire des haïkus en français à faire fi de certaines règles. En particulier, une convention veut que, dans cette langue, ils comportent plutôt cinq, puis sept, puis cinq syllabes (au lieu d’autant de mores).
Par ailleurs, il n’existe pas en français d’équivalent des kirejis, ces mots qui n’ont aucun sens concret. À la place, les poètes francophones écrivant des haïkus emploient des signes de ponctuation ou des interjections pour insérer des pauses rythmiques dans leurs écrits.
Trois auteurs ont grandement façonné l’art de la composition du haïku et marqué le genre : Matsuo Bashō (1644-1694), Yosa Buson (1716-1783) et Kobayashi Issa (1763-1828). Tous ont mis en scène des chats dans leurs écrits, mais pas de la même manière.
Pour Bashō et Buson, ce sont des sujets comme les autres. Pour Issa en revanche, ils sont des compagnons qui l’accompagnent durant toute sa carrière littéraire.
De son vivant, Bashō (1644-1694) compose environ 2000 haïkus, même si les poèmes de ce genre ne portent pas encore ce nom. Sa personnalité et son œuvre sont grandement influencées par le bouddhisme zen, qu’il étudie à partir de 1680.
Sa poésie est une recherche constante de la simplicité et de la découverte du beau, en particulier dans la nature, ainsi qu’une méditation sur le changement provoqué par le passage du temps.
Le haïku tel que le conçoit Bashō est l’art du contraste. Ainsi, ses textes sont souvent marqués par une juxtaposition entre un élément relevant de l’intemporel (par exemple, qui se rapporte à la nature) et un autre qui appartient à l’éphémère.
À sa mort, il laisse derrière lui six recueils de haïkus, sept journaux de voyage comprenant eux aussi un grand nombre de ces poèmes, et de nombreux disciples qui perpétuent cette forme poétique à qui il a donné ses lettres de noblesse.
Les chats ne sont assurément pas son sujet de prédilection, mais sont néanmoins présents occasionnellement dans ses écrits. On lui doit par exemple le haïku suivant, qui illustre parfaitement sa philosophie en tant qu’haijin :
Le vent d’hiver souffle
les yeux des chats
clignotent
Ce texte traite d’un sujet simple, évoquant la nature et juxtaposant un élément naturel et permanent, le vent, au mouvement rapide des yeux d’un chat.
Le haïku connaît une première évolution majeure à partir du milieu du 18ème siècle sous l’influence de Yosa Buson (1716-1783).
Vouant une grande admiration à Bashō, Buson cherche après ses études à marcher sur ses traces - dans tous les sens du terme. Pour ce faire, il multiplie comme son idole les voyages à travers le Japon afin d’y trouver l’inspiration.
Ses écrits se démarquent néanmoins de ceux de son maître à penser par leur style, qui est plus visuel. Sous sa plume, les haïkus se transforment ainsi en de véritables tableaux. C’est d’autant plus vrai qu’il n’est pas qu’un poète : c’est aussi un artiste-peintre, et il n’hésite pas à mettre son pinceau au service de son travail de haijin en illustrant certains de ses textes.
Cette tradition perdure d’ailleurs aujourd’hui, puisqu’il est courant de trouver dans les recueils de haïkus des illustrations qui accompagnent ces derniers et dont l’auteur est soit le poète lui-même, soit un tiers. On appelle celles-ci des « haigas ».
Comme Bashō, Buson n’accorde pas une place majeure à la gent féline dans son œuvre, mais on lui doit quand même quelques haïkus avec un chat. C’est le cas par exemple du suivant :
Auberge du pèlerin –
Sous l’avant-toit, s’élève
L’amour furieux des chats.
Ce texte juxtapose un lieu spirituel (une auberge de pèlerin) avec un élément beaucoup plus trivial : le bruit des chats en rut sur le toit de l’établissement. Il rappelle d’ailleurs que, contrairement à une idée reçue, les haïkus ne sont pas forcément des poèmes hautement spirituels. Certaines traitent de choses très banales, et même parfois vulgaires.
Après être devenus des œuvres plus visuelles sous l’influence de Buson, les haïkus connaissent une deuxième évolution majeure à partir du 18ème siècle, sous l’influence de Kobayashi Issa (1763-1828), dont l’œuvre monumentale en comporte près de 20.000.
C’est lorsqu’il part vivre à Edo (l’ancien nom de Tokyo) qu’Issa découvre cet art. Il se joint alors à un groupe de haijins et l’étudie en profondeur, avec l’objectif de faire de la poésie son métier. Il travaille en particulier sur le style et les mots, afin d’utiliser un langage simple et direct pour exprimer des sentiments humains profonds, comme la tristesse et la solitude.
Tandis que l’art du haïku tel que le pratique Bashō revêt un caractère philosophique et que celui de Buson se caractérise par son aspect visuel, Kobayashi Issa y apporte lui une dimension plus personnelle.
En effet, il utilise notamment cette forme poétique pour faire son propre autoportrait et compose des œuvres plus intimistes. Certains de ses textes abordent ainsi des sujets douloureux, comme la mort de sa première fille Sato. Sa vie est d’ailleurs faite de nombreuses tragédies. Ainsi, les quatre enfants issus de son premier mariage meurent en bas âge. Il doit ensuite faire face au décès de sa femme, ainsi qu’à un incendie qui détruit sa maison et l’amène à trouver refuge dans une grange. Il se remarie, mais divorce de sa seconde femme au bout de trois mois. Il finit par avoir une troisième femme, et meurt alors qu’elle est enceinte d’une fille.
Cela ne l’empêche pas d’insuffler dans nombre de ses haïkus une grande force comique, notamment ceux traitant des animaux. Rares sont d’ailleurs les haijins à avoir autant écrit sur eux qu’Issa. Et parmi eux, les chats l’inspirent tout particulièrement, puisqu’il leur consacre un peu plus de 330 de ses poèmes.
Il les analyse sous toutes les coutures, les présentant notamment en train de dormir, de manger et de jouer. Ils sont pour lui de parfaits compagnons des poètes, comme il le montre d’ailleurs dans ce haïku :
Le chat du poète
Parfois attrape une mouche,
Pour se consoler
Certes, il n’est pas le premier à composer des haïkus sur la gent féline, mais son influence est telle qu’il contribue grandement à l’imposer comme l’un des thèmes de prédilection des haijins. De nombreux artistes lui emboitent ainsi le pas, comme Tomiyasu Fusei (1885-1979) et Masaoka Shiki (1867-1902).
En français, il est possible de découvrir quelques-unes des œuvres d’Issa consacrées aux petits félins grâce à deux recueils publiés par le traducteur et spécialiste de la littérature japonaise Mabessone Seegan : Haïkus sur les chats, sorti en 2016, et Un chat au Japon, paru en 2023.
Les chats incarnent plusieurs aspects plébiscités par les haijins, qu’ils soient davantage inspirés par la poésie méditative de Bashō, par celle plus visuelle de Buson, ou encore par les textes plus personnels d’Issa.
Pour comprendre la place importante que les chats occupent dans les haïkus, il faut revenir aux croyances et à la philosophie qui inspire cette forme poétique : le bouddhisme. Ce dernier exerce en effet une forte influence sur le travail des haijins - en particulier sur celui de Bashō, le grand maître du genre.
Les haïkus portent en effet sur l’instant présent, soulignent l’impermanence des choses et font l’éloge de la simplicité, soit autant de valeurs défendues également par les adeptes de ce culte.
La perception du chat dans le bouddhisme n’est pas celle d’un animal sacré, mais il y occupe néanmoins une place unique. Au Japon, il côtoie d’ailleurs les moines bouddhistes depuis son arrivée dans l’archipel à leurs côtés au 6ème siècle. Il sert à protéger les textes sacrés contre les rongeurs, mais les religieux apprécient également son calme, qu’ils considèrent même parfois comme un exemple à suivre.
On retrouve cet intérêt pour la sérénité des chats dans les haïkus. En effet, de nombreux haijins évoquent des représentants de la gent féline faisant la sieste ou se distinguant par une patience à toute épreuve.
Issa évoque d’ailleurs non sans humour le lien entre le chat et le bouddhisme dans un haïku :
Le chat errant,
utilise le genou du Bouddha
comme oreiller !
Les haïkus sont des poèmes de l’éphémère. Les chats représentent donc un sujet idéal pour les auteurs du genre : agissant par pur instinct sans se soucier du futur, les petits félins ne planifient pas vraiment leurs actions et n’expriment aucun regret. De fait, seul compte pour eux l’instant présent.
Nombre de textes évoquent leur capacité à saisir l’instant, par exemple lorsqu’il s’agit de chasser un oiseau ou de bondir pour franchir un obstacle.
Par ailleurs, les chats ne semblent pas ressentir le passage du temps comme un mouvement fluide, mais comme une succession d’instants déconnectés les uns des autres. Or, c’est justement le rythme que les haijins cherchent à imposer dans leurs textes.
Issa illustre par exemple ce rapport au temps lorsqu’il évoque un chat chassant de façon insouciante les fleurs qui se fanent, sans prêter attention aux autres qui continuent de tomber derrière lui :
Le chaton poursuit
Les fleurs de lespédèze qui tombent -
Lui-même poursuivi par d’autres fleurs.
Le haïku est l’art du contraste. Le poète cherche bien souvent à exprimer la fulgurance d’un mouvement éphémère dans un univers qui lui est fixe et permanent.
De ce point de vue là aussi, les chats constituent de parfaits sujets d’étude pour les auteurs. En effet, ils sont capables notamment de rester parfaitement immobiles pendant de longues minutes avant d’attaquer une proie, ou encore d’employer tous leurs sens pour s’imprégner de leur environnement avant d’agir.
Le poète japonais Kusatao Nakamura (1901-1983) évoque parfaitement ce contraste dans un haïku mettant en scène un animal en mouvement, le chat, et un astre qui au contraire semble immobile, la Lune :
Hochant la tête
il se lèche
le chat sous la Lune
On sous-estime souvent l’importance de l’humour dans les haïkus, et pourtant nombre de ces poèmes lui font la part belle. En particulier, l’œuvre de Kobayashi Issa est remplie de phrases décalées et de passages satiriques. En effet, les comportements parfois absurdes ou du moins incompréhensibles des chats sont l’occasion pour lui de formuler toutes sortes de traits d’humour susceptibles de faire sourire le lecteur.
Sur le ton de l’absurde, un de ses haïkus philosophe par exemple sur la vie sentimentale des chats de gouttière :
Le chat plein de boue -
Quand j’y pense, même lui
A trouvé une femme !
Loin d’être un genre tombé en désuétude, le haïku perdure de nos jours et trouve même un nouveau souffle en s’exportant en dehors des frontières de son pays natal.
Quant aux chats, en plus de rester populaire chez les haijins japonais, il inspire aussi ceux des autres pays.
Le Japon est un pays connu pour préserver ses traditions, et le haïku ne fait pas exception. Il y existe d’ailleurs toujours des haijins professionnels, même si rares sont les auteurs qui parviennent effectivement à vivre de leur art et à s'y consacrer exclusivement.
En parallèle, le genre n’est plus exclusivement japonais. En effet, à partir de la fin du 19ème siècle, il franchit les frontières du pays du Soleil levant et se met à séduire des auteurs du monde entier. On trouve parmi eux plusieurs grands noms, dont Jack Kerouac (1922-1969), l’auteur en 1957 du célèbre roman Sur la route (On the Road). Affectionnant tout particulièrement cette forme d’écriture, il compose pas moins d’un millier d’haïkus, dont près de la moitié sont publiés à titre posthume en 2003 dans un recueil intitulé Le Livre des haïkus (Book of Haikus, en version originale).
Les auteurs francophones ne sont pas en reste. Par exemple, le poète français Paul Claudel (1868-1955), qui est d’ailleurs ambassadeur de France à Tokyo de juin 1926 à janvier 1927, s’y essaye lui aussi avec un recueil paru en 1942 et nommé Cent phrases pour éventails, qui comprend 72 haïkus.
Si le haïku s’est diffusé à l’étranger, force est de constater que certains sujets restent spécifiquement japonais. Il faut dire qu’on imagine moins par exemple un Français ou un Américain écrire sur les cerisiers en fleur ou les statues de Bouddha. D’autres, en revanche, dépassent toutes les frontières.
C’est notamment le cas des chats, qui plus largement sont depuis toujours un sujet de prédilection pour les artistes et les créatifs en tout genre - que ce soit au Japon ou dans le reste du monde.
Leur popularité se renforce même au 21ème siècle, et Internet n’y est pas pour rien. En effet, les réseaux sociaux et les sites d’hébergements de vidéos comme YouTube permettent de diffuser et consulter une infinité de photos et vidéos de chats, dont certaines sont particulièrement mignonnes ou amusantes et expliquent l’engouement du public. Ce dernier est partagé par les créateurs et artistes en tout genre – notamment les auteurs de livres, de films, de dessins animés, mais aussi de haïkus.
Parmi les haijins japonais contemporains qui s’intéressent au chat, le plus connu dans le monde francophone est assurément le dessinateur et poète japonais Minami Shinbô (né en 1947). Il est en effet l’auteur de plusieurs recueils de haïkus qui leur sont entièrement dédiés. Deux d’entre eux, Mes chats écrivent des haïkus et Haïkus du chat, bénéficient même depuis 2017 d’une traduction en français.
Shinbô s’y inspire clairement du travail de Kobayashi Issa, dont il reprend l’humour et le côté introspectif. Il innove toutefois, car lorsqu’il n’y écrit pas directement sur les chats, il se met à leur place. Son idée est en effet de présenter le monde tel qu’il est perçu par ces derniers.
C’est ainsi qu’il décrit par exemple le ciel vu par un petit félin :
« Dans l’immensité du ciel
Pas un nuage
La lune en plein jour. »
Ou encore la mer :
« Sur les hauts-fonds
d’une mer du Sud
un souffle de vent »
Ces haïkus (ou plutôt ces « chakus , comme ils sont appelés dans la version française) apportent ainsi une dimension inédite à cette forme poétique en exigeant du lecteur qu’il prenne en compte la nature du narrateur pour pleinement apprécier la subtilité des textes.
À l’instar de Kobayashi Issa au Japon, certains haijins français mettent eux aussi leur plume au service de leur amour de la gent féline.
C’est le cas par exemple de l’auteur français Jacques Poullaouec, qui, en 2003, publie Haïku du chat. Ce recueil de haïkus ne s’inspire pas seulement de cette forme poétique japonaise, mais aussi du célèbre roman Alice au pays des merveilles, écrit par l’auteur britannique Lewis Carroll (1832-1898) et paru en 1865.
En 2022, un collectif de haijins créé par le poète français Dominique Chipot publie à son tour un recueil de haïkus dédiés à cet animal. Intitulé Chat ba da ba da, celui-ci mélange poèmes et illustrations pour évoquer avec tendresse et humour le quotidien des représentants de la gent féline.
Enfin, nombreux sont les poètes amateurs, férus de culture japonaise et amoureux des chats, qui partagent leurs écrits librement sur Internet et démontrent eux aussi que, comme les petits félins, ce genre littéraire s’affranchit des frontières.
Calme et serein, beau mais éphémère, le chat est une parfaite incarnation de l’esprit du haïku.
Tandis que les poètes occidentaux voient généralement en lui un symbole de liberté ou de mystère, les haijins, eux, se contentent de simplement le regarder. Ils observent et décrivent son calme, sa routine modeste, ses gestes surprenants — et captent, en quelques mots, l’instant éphémère où l’animal et le monde ne font plus qu’un.