En 1959, alors qu’il n’est encore qu’un adolescent, l’Américain Robert Crumb (né en 1943) s’amuse à créer une bande dessinée baptisée Cat Life et centrée sur la vie de Fred, le chat de sa famille. Crumb n’a aucune intention de publier cette œuvre de jeunesse, mais le personnage qu’il a couché sur le papier continue d’occuper ses pensées. Un an plus tard, en 1960, il réapparaît dans sa bande dessinée Robin Hood (Robin des bois, en français), avec toutefois quelques changements à la clef. Il s’appelle désormais Fritz, est doué de parole et capable de se mouvoir sur deux pattes.
Il faut dire que, selon les dires de l’auteur, les animaux anthropomorphiques lui permettent d’aller plus loin dans la satire et l’absurde que les personnages humains.
Crumb décide alors de réutiliser ce chat en en faisant carrément le personnage principal d’un comic prenant place dans une gigantesque mégalopole, qu’il nomme tout simplement Fritz le chat (Fritz the cat). Tout au long de la première moitié des années 60, il dessine cette œuvre uniquement pour son plaisir. Toutefois, à partir de 1965, le magazine satirique Help! s’intéresse au travail de cet artiste underground : Crumb leur fait alors parvenir une histoire de Fritz le chat qu’ils décident de publier.
Le public découvre alors un personnage très éloigné des animaux bon enfant qu’on retrouve habituellement dans les comics strips. On y voit en effet Fritz ramener une jeune chatte chez lui et la déshabiller, avant de commencer à lui retirer les puces. L’éditeur apprécie beaucoup la BD de Crumb, qui mêle l’absurde et l’érotisme, même s’il s’inquiète des ennuis juridiques qu’il pourrait s’attirer en publiant ce genre d’œuvres.
Une seconde histoire est publiée quelque mois plus tard, dans laquelle le même Fritz prend les traits d’une rock-star dévorant une groupie pigeon qu’il a ramenée chez lui. Elle ne calme sans doute pas les inquiétudes de la direction, mais plaît beaucoup aux lecteurs et fait de Crumb l’un des nouveaux auteurs à suivre dans l’univers du comix underground.
Poseur hédoniste, narcissique et amoral, Fritz continue jusqu’en 1972 d’apparaître au sein de diverses histoires publiées dans Help!. Il atteint alors une telle renommée que la bande dessinée est adaptée dans un long-métrage d’animation baptisé simplement Fritz le chat (Fritz the cat, en version originale). Écrite et réalisée par Ralph Bakshi (né en 1938), cette adaptation va tellement loin dans la violence et l’érotisme qu’elle devient le premier film d’animation classé X de l’histoire aux États-Unis. Ce long-métrage satirique séduit le public comme la critique, mais pas Robert Crumb : il dénonce la gratuité des scènes sexuelles et la dénaturation de son personnage. En réponse, il publie en 1973 Fritz le chat « Superstar » (Fritz the cat “Superstar”, en version originale), dans lequel son anti-héros est désormais une vedette de cinéma déconnectée de la réalité. À la fin de cette histoire, Crumb fait tuer son personnage, dans l’espoir d’empêcher quiconque de l’exploiter davantage. C’est peine perdue : dès l’année suivante, soit 1974, un second film baptisé Les neuf vies de Fritz le chat (The Nine Lives of Fritz the cat) voit le jour. Il est réalisé cette fois par l’Américain Robert Taylor (1944-2014), toujours sans l’aval de Crumb, mais ne rencontre pas le même succès que le premier opus.
Il convient pour finir de souligner qu’en 2013 l’intégralité de la bande dessinée est publiée en français sous son titre original, Fritz the cat.