Quand on pense à l’expérimentation animale, la première image qui vient généralement à l’esprit est celle de la souris blanche enfermée dans sa cage.
En réalité, les scientifiques utilisent des dizaines d’espèces différentes pour mener à bien leurs expériences, dont le chat, qui reste toutefois minoritaire.
Si la pratique est encore difficilement remplaçable de nos jours, la contestation du grand public va croissante, et les réglementations évoluent afin de protéger du mieux que possible les animaux employés dans les laboratoires. Du reste, l’évolution des connaissances scientifiques conduit à interroger le bien-fondé de l’emploi d’animaux au service de la recherche.
Les premières traces d’expérimentation animale remontent à l’Antiquité, avec les dissections anatomiques du philosophe grec Anaxagore de Clazomènes (500 avant J.-C. – 428 avant J.-C.). D’autres philosophes ou médecins grecs de l’Antiquité, comme Aristote (384 avant J.-C. – 322 avant J.-C.), Hippocrate (460 avant J.-C. – 377 avant J.-C.) ou encore Galien (129-201), pratiquent eux aussi la dissection animale, sur des cadavres aussi bien que sur des spécimens vivants.
La pratique est alors déjà sujette à débat, et heurte la sensibilité de certains citoyens. Les médecins et scientifiques de l’époque ne suivent pas de protocoles expérimentaux méthodologiques et ne tentent pas de valider une hypothèse : l’objectif de ces opérations est simplement d’observer le vivant dans l’espoir de mieux le comprendre.
Dans l’Europe du Moyen Âge, les dissections d’animaux et l’expérimentation en général se font discrètes. Entre guerres, famines, épidémies et forte pression religieuse, la science n’est plus au cœur des préoccupations de l’époque.
Il faut attendre le 19ème siècle pour que l’expérimentation animale connaisse un véritable essor grâce aux travaux du médecin français François Magendie (1783-1855) et surtout de son disciple, Claude Bernard (1813-1878). Dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, publiée en 1865, ce dernier donne les grandes lignes de ce que deviendra l’expérimentation animale moderne dans les décennies suivantes.
Dès lors, les recherches scientifiques suivent des méthodologies réfléchies et rigoureuses. Le chercheur n’est plus un simple observateur : il doit formuler des hypothèses et établir un protocole de recherche strict, lui permettant de les invalider ou au contraire de les confirmer. Pour ce faire, l’utilisation d’animaux de laboratoire devient presque systématique dans la recherche médicale.
Se basant sur les écrits de Claude Bernard, les scientifiques usent - et parfois abusent - du modèle animal pendant une grande partie du 20ème siècle. Toutefois, si leurs travaux permettent des avancées majeures, ils soulèvent nombre de questions éthiques. D’ailleurs, dès la fin du 19ème siècle, des législations sont mises en place dans plusieurs pays d’Europe pour encadrer la pratique et protéger les animaux.
Au cours des 19ème et 20ème siècles, l’expérimentation animale permet des avancées scientifiques colossales.
Par exemple, c’est en inoculant des agents pathogènes à des volailles infectées que le scientifique français Louis Pasteur (1822-1895) élabore en 1879 le principe de la vaccination. Ses travaux conduisent à la mise au point de plusieurs vaccins contre le choléra des poules, le charbon des moutons ou encore le rouget du porc. En 1885, après avoir renforcé sa méthodologie expérimentale et l’avoir éprouvée sur des chiens et des lapins, il parvient même à administrer le premier vaccin contre la rage.
Des expériences sur des chiens diabétiques permettent également aux médecins canadiens Frederik Banting (1891-1941, prix Nobel de médecine en 1923) et Charles Best (1899-1978) d’observer l’effet de l’administration d’insuline sur le foie et par conséquent d’ouvrir la voie à la recherche d’un traitement du diabète humain.
Ces deux découvertes sont les plus marquantes dans l’histoire de l’expérimentation animale, car elles ont révolutionné la médecine. Mais il ne faut pas oublier que des milliers d’autres protocoles de recherche moins connus utilisant des animaux de laboratoire ont permis de faire des avancées immenses en science comme en médecine, surtout à une époque où les méthodes alternatives n’étaient que très peu développées.
De nos jours, la question de savoir s’il est toujours nécessaire de conduire des expériences sur les animaux se pose de plus en plus. En effet, les progrès scientifiques offrent de nombreuses alternatives scientifiques à ce type de procédés. Pourtant, il semble actuellement encore impossible de se passer totalement de ces cobayes.
L’expérimentation animale est un sujet complexe, qui préoccupe depuis de nombreuses décennies les scientifiques, les protecteurs des animaux et les politiques.
D’après un sondage réalisé en 2020 par l’institut Ifop pour le compte de la Fondation Brigitte Bardot et intitulé « Les Français et la condition animale », 73% des Français sont favorables à l’interdiction du recours à l’expérimentation animale au cours de cette décennie.
La principale critique à l’encontre de ces recherches est bien évidemment d’ordre éthique : le grand public ne veut plus voir les animaux souffrir. Il y a quelques décennies, la balance entre bénéfices scientifiques et dilemme moral penchait clairement en faveur des premiers, si bien que l’utilisation d’animaux de laboratoire n’était qu’assez peu remise en question. Or, ce n’est plus forcément le cas aujourd’hui.
De nombreux scientifiques contestent eux-mêmes l’utilisation du modèle animal et l’extrapolation des observations faites chez les bêtes à l’humain. C’est le cas par exemple du Français Claude Reiss, ancien directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Dans une interview accordée en 2015 au magazine Paris Match, il estime que « utiliser des animaux comme modèles biologiques de l’être humain est un non-sens. Une espèce ne peut pas prédire l’effet d’une substance ou d’un médicament sur une autre espèce : c’est une loi de la biologie. » Et de donner l’exemple du chimpanzé, connu pour avoir un génome homologue à 98,5 % avec celui de l’Homme, mais qui est insensible par exemple au virus du sida.
Ainsi, un nombre croissant de scientifiques estiment que l’analogie entre animal et humain était pertinente il y a plusieurs décennies, quand les scientifiques aspiraient à comprendre le fonctionnement basique de notre organisme, mais qu’elle a désormais atteint ses limites. En effet, les hypothèses à vérifier de nos jours sont souvent plus complexes et fines : un animal ne permet plus forcément de répondre aux nouvelles questions qui touchent justement à ce qui différencie un être humain d’un autre.
Pire : les recherches infructueuses pénalisent aussi bien les animaux qui souffrent inutilement que les humains. En effet, de nombreux projets de médicaments destinés à ces derniers échouent lors des tests précliniques sur les animaux, et sont donc de ce fait interrompus. Pourtant, rien ne dit qu’ils n’auraient pas été concluants pour les humains. À l’inverse, franchir l’étape du test sur des animaux n’est pas non plus une garantie de succès – loin de là. Ainsi, parmi les traitements qui réussissent à cette première étape, le passage aux tests chez l’humain se solde dans plus de 80% des cas par un échec, comme le rappelle une étude intitulée « Preclinical research: Make mouse studies work » et publiée en 2014 dans la revue scientifique Nature.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que le succès chez l’animal ne garantisse en rien le même résultat chez l’Homme, et inversement : quelle que soit l’espèce concernée, les différences sont énormes.
Les opposants à l’expérimentation animale arguent donc que l’utilisation de sujets expérimentaux inadaptés conduit à sacrifier inutilement d’animaux, mais force est de constater qu’il est difficile à l’heure actuelle de fonctionner autrement : le modèle animal n’est pas idéal, mais il est bien souvent le meilleur - voire le seul – qui est disponible. C’est notamment le cas pour l’étude des cancers, des maladies neurodégénératives et d’autres pathologies multifactorielles que l’on peut difficilement étudier sans prendre en considération l’organisme dans sa totalité.
Pour remplacer les animaux de laboratoire, les chercheurs utilisent parfois des méthodes dites in vitro, c’est-à-dire à l’extérieur d’un organisme vivant. Ces techniques se basent majoritairement sur l’utilisation de cultures de cellules ou de tissus en éprouvettes. Leur principale limite est qu’elles ne permettent pas souvent de répondre à une question portant sur un organisme dans son intégralité.
Cependant, comme l’évoque notamment un article de recherche intitulé « Ethics of animal research in human disease remediation, its institutional teaching; and alternatives to animal experimentation » publié en 2017 dans la revue scientifique Pharmaceutical Research, de nouvelles techniques d’expérimentation in vitro voient régulièrement le jour dans le but de remplacer à terme les animaux de laboratoire. En 2010, des chercheurs de l’Université de Harvard et de l’Université de Pennsylvanie (États-Unis) ont ainsi mis au point une puce microscopique capable de se comporter comme un organe, avec une pompe fonctionnant de manière similaire à un cœur et simulant fidèlement le système circulatoire. Cela a même permis de créer en 2013 un poumon capable d’inspirer et d’expirer, conçu à partir d’une puce de ce type. La technique semble prometteuse mais n’a qu’assez peu fait parler d’elle depuis, ce qui laisse craindre de possibles difficultés techniques ou financières.
Une autre option est la méthode numérique, aussi appelée in silico. Il n’est alors plus guère question de réaliser des tests sur des organismes entiers, partiels ou même sur des cellules, mais d’utiliser l’outil informatique pour simuler des expériences. Cette méthode pourrait être notamment employée dans le futur pour les tests toxicologiques et la prédiction de l’absorption d’une molécule dans un organisme. Néanmoins, la modélisation ne permet en aucun cas de recréer la complexité d’un être vivant et de prendre en considération toutes les nuances physiologiques propres à la vie.
En l’état actuel des sciences et des techniques, il apparaît donc très compliqué de se priver totalement des animaux de laboratoire. Les techniques alternatives ne sont pas assez développées, et la connaissance qu’a l’Homme du vivant n’autorise pas à extrapoler les résultats obtenus sur des cellules à un organisme entier.
Il est peut-être impossible de se passer de l’expérimentation animale pour le moment, mais il est envisageable en revanche de limiter son utilisation, ou en tout cas d’ambitionner que celle-ci se fasse autant que possible dans le respect de l’animal.
C’est dans cette optique que les scientifiques anglais William Moy Stratton Russell (1925-2006) et Rex Leonard Burch (né en 1926) ont proposé dès 1959 divers principes de travail pour réduire la souffrance animale. Ces derniers sont regroupés en trois piliers, les 3R : réduire, raffiner et remplacer. Le Conseil de l’Europe a adopté ce principe en 1986 par le règlement 338/97, suivi par l’Union européenne en 2010. La France et la Belgique ont transposé cette réglementation européenne dans leur droit national trois ans plus tard, en 2013.
L'objectif des 3R est donc tout d’abord de réduire le nombre d’expérimentations sur les animaux, en se limitant aux cas où elles sont absolument indispensables, et d’autre part le nombre d’animaux nécessaires à chaque fois, grâce à une méthodologie rigoureuse.
Ensuite, raffiner, c’est-à-dire améliorer le bien-être de l’animal. Les scientifiques doivent prendre en compte tous les aspects de l’expérimentation et leurs impacts sur l’animal, pour limiter le stress qu’il subit et améliorer ses conditions de vie.
Enfin, remplacer quand c’est possible l’expérimentation animale par les méthodes in vitro ou in silico.
À court terme, le principe des 3R répond au souhait de limiter le nombre d’animaux de laboratoire et d’améliorer leurs conditions de vie. Mais en réalité, l’ambition des fervents défenseurs de ce principe est plus grande : arriver à remplacer petit à petit toutes les expérimentations animales par des méthodes alternatives tout aussi efficaces.
L’expérimentation animale dans le cadre de la recherche fait débat depuis déjà longtemps. Certains la jugent inutile et voudraient la voir totalement interdite, là où d’autres l’estiment indispensable à l’évolution de la science et de la médecine.
Cela a en tout cas conduit le législateur à s’emparer du sujet, en tâchant d’encadrer tant bien que mal cette pratique par des réglementations plus ou moins strictes qui visent à limiter autant que faire se peut la souffrance animale.
En France, la pratique de l’expérimentation animale est réglementée par les articles R214-87 et R214-137 du Code rural et de la pêche maritime, le décret 2013-118 relatif à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ainsi que cinq arrêtés du 1er février 2013, qui transposent dans le droit français la directive européenne de 2010 (2010/63/UE) relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques.
La loi interdit ainsi l’utilisation de grands singes à des fins scientifiques, et restreint fortement celle des autres primates. Quant aux mammifères tels que les chiens et les chats, ils peuvent être utilisés comme sujets de recherche, mais doivent provenir d’élevages certifiés. Dans certains cas, une dérogation peut être accordée pour l’utilisation d’animaux de refuge, si celle-ci se justifie scientifiquement pour une expérimentation donnée.
Dans tous les cas, chaque projet doit être présenté devant un comité d’éthique qui délivre un avis favorable ou défavorable à l’utilisation d’animaux pour tels ou tels travaux. Le ministère de la Recherche doit ensuite valider lui aussi le dossier, et fournir une autorisation au cas par cas pour chacun des projets envisagés.
En outre, des normes strictes régissent les conditions d’élevage et d’hébergement des animaux, et seules des personnes compétentes peuvent conduire les expérimentations.
Enfin, la loi encourage fortement les chercheurs à éviter de considérer la mort comme une donnée statistique de l’expérience. Autrement dit, la réponse à la question posée au début de l’étude ne doit - si possible - pas prendre en compte l’éventuel décès d’un animal. Par exemple, une analyse de toxicité doit dans l’idéal reposer sur l’analyse biologique d’échantillons sanguins, plutôt que sur le comptage du nombre d’animaux n’ayant pas survécu à l’exposition au produit testé. Toutefois, l’euthanasie est possible lorsque le protocole requiert un prélèvement d’organe, et obligatoire lorsqu’il y a modification du génome.
En Belgique, l’expérimentation animale est réglementée par la loi de 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux ainsi que l’arrêté royal du 29 mai 2013 qui transpose dans le droit belge la directive européenne du 2010 (2010/63/EU).
En pratique, la réglementation est la même qu’en France et les projets doivent être également validés par le ministère en charge de la recherche scientifique.
Le fait que le siège de deux des principaux laboratoires pharmaceutiques mondiaux (Roche et Novartis) se trouve sur son sol n’empêche pas la Suisse d’avoir une des réglementations les plus restrictives au monde en matière d’expérimentation animale, établie par l’Ordonnance du 23 avril 2008 sur la protection des animaux.
En effet, chaque expérience impliquant ces derniers doit justifier d’un potentiel bénéfice pour l’humanité supérieur aux souffrances infligées aux intéressés. De plus, l’animal doit être choisi comme modèle uniquement si aucune autre alternative méthodologique n’est possible.
Chaque projet de recherche doit ainsi être validé par une commission cantonale avant d’être mis en place.
La réglementation provinciale du Québec considère les animaux de laboratoires ni comme des animaux domestiques, ni comme des animaux sauvages. Cette zone d’ombre est fortement dénoncée par les défenseurs de la cause animale, qui y voient un moyen pour les laboratoires de contourner les règles et de mener leurs expériences sans prendre en compte le bien-être des animaux.
Il existe toutefois au niveau fédéral un Conseil Canadien de Protection des Animaux (CCPA), organisme en charge notamment d’édicter des règles valables dans l’ensemble du pays et d’accréditer chacun des laboratoires menant des expérimentations sur les animaux.
Il proscrit ainsi notamment toutes les expériences dont l’objectif nécessiterait de tuer volontairement un vertébré afin de l’autopsier. Il interdit également de mener des recherches durant lesquelles les animaux seraient soumis à un stress volontaire.
Les premières traces écrites d’expérimentation animale sur des chats remontent au 19ème siècle, avec les travaux du médecin français Claude Bernard (1813-1878), retracés notamment dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale publiée en 1865. Indifférent à la souffrance des bêtes (de ses propres dires), il n’hésite pas à sacrifier des animaux divers et variés, souvent dans la douleur.
Ses travaux sont certes critiquables pour leur cruauté, mais ouvrent néanmoins la voie de l’expérimentation animale structurée, rigoureuse et productive. C’est à partir de ce moment-là que les animaux sont massivement utilisés comme cobayes à des fins scientifiques plus ou moins pertinentes.
Dans les années 1950, le professeur américain José Delgado (1915-2011) a pour ambition de parvenir à contrôler l’esprit humain à l’aide d’un implant cérébral. Avant d’en arriver à tester son dispositif sur des taureaux puis sur des humains, ses premiers sujets d’expérience sont des chats qu’il contrôle à distance comme des jouets.
À la même époque, le gouvernement américain expérimente l’administration à plusieurs félins de LSD, un puissant psychotrope hallucinogène. L’expérience est bien entendu particulièrement désagréable pour ces derniers, qui semblent souffrir aussi bien physiquement que mentalement - le tout potentiellement sans but réel, puisque l’objectif de l’étude est aujourd’hui encore très flou.
Dans les années suivantes, les expérimentations sur les chats deviennent au moins plus utiles, à défaut de devenir plus éthiques. Par exemple, en 1958, les deux chercheurs américains David H. Hubel (1926-2013) et Torsten Wiesel (né en 1924) insèrent une électrode dans l’œil d’un petit félin afin de mieux comprendre comment le cerveau comprend les images. Les résultats de leurs travaux sont présentés dans un article intitulé « Receptive fields of single neurones in the cat's striate cortex » publié en 1959 dans The Journal of Physiology, et valent également pour les humains : le cerveau fragmente n’importe quelle image en segments afin de l’analyser, et il repère mieux les formes en mouvement que les traits fixes. Ils peuvent sembler anodins aujourd’hui, mais sont révolutionnaires à l’époque, au point qu’ils permettent à Hubel et Wiesel de se voir décerner en 1981 le prix Nobel de médecine.
Inspirés par ces recherches, d’autres études sur les chats et l’apprentissage de la vision permettent par la suite le développement de traitements contre la cécité infantile.
Toujours en 1981, le neuropsychologue américain Roger Sperry (1913-1994) gagne lui aussi le prix Nobel de médecine pour avoir démontré, grâce à des expériences menées sur les chats dont les résultats avaient été présentés en 1961 dans un article intitulé « Cerebral Organization and Behavior: The split brain behaves in many respects like two separate brains, providing new research possibilities » paru dans la revue scientifique Science, que chacun des hémisphères du cerveau humain a la capacité de réagir indépendamment de l’autre. Personne auparavant n’avait formulé cette hypothèse, qui n’aurait pas pu être mise en avant sans l’implication de chats. En effet, leur système nerveux est très proche de celui des humains – plus encore par exemple que celui des chimpanzés.
De nos jours, l’utilisation d’animaux pour la recherche est encadrée et soumise à des réglementations sévères. Même si les protecteurs des animaux voudraient aller encore plus loin, force est de constater que l’évolution en matière d’éthique animale a été colossale. Pour autant, il n’est pas interdit de se demander si des scientifiques comme David H. Hubel, Roger Sperry ou de nombreux autres auraient pu faire de telles découvertes si la législation de l’époque avait été ce qu’elle est aujourd’hui. De fait, la question de la balance bénéfices/souffrances n’a probablement pas fini de faire couler de l’encre...
En France, selon les chiffres de l’enquête statistique intitulée « Utilisation des animaux à des fins scientifiques dans les établissements utilisateurs français » publiée cette même année par le ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 1067 chats ont été employés à des fins scientifiques en 2016. Dans le même temps, ce fut le cas d’environ 1,1 millions de souris, 300.000 poissons et un peu plus de 4000 chiens.
La Belgique comptabilise quant à elle l’utilisation de 1134 chats et de 1683 chiens en 2016, selon des données publiées par Elif Stepman, chercheuse à l’Université de Gant, dans un rapport intitulé « L’utilisation des chiens et des chats dans l’expérimentation animale en Belgique ».
En Suisse, les données publiées par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) font état de l’utilisation de 1472 chats et de 4594 chiens en 2020. Là aussi, c'est très peu par rapport au total (556.000 animaux), sachant que les souris représentent à elles seules plus de 60% de ce dernier.
Au Canada, ce sont 5894 félins qui ont été utilisés pour la science en 2019, contre près de 1,4 millions de souris, 1,2 millions d’oiseaux, plus de 0,9 millions de poissons et 12 195 chiens et, selon le « Rapport du CCPA sur les données sur les animaux », publié en 2019 par le CCPA.
Plus largement, au niveau mondial, les chats sont extrêmement minoritaires parmi les animaux de laboratoire, loin derrière les rongeurs, les poissons, les primates et même les chiens. Ils représentent moins de 0,3% du total en France, en Belgique, en Suisse et au Canada.
Le grand public associe souvent l’expérimentation animale à l’industrie pharmaceutique. En pratique, ce n’est pas le forcément le cas – a fortiori pour le chat, que les laboratoires pharmaceutiques ont peu d’intérêt à utiliser comme modèle. En effet, les rats et les poissons, cobayes principaux de l’industrie, permettent souvent le même genre d’expériences, mais avec une logistique bien plus simple et économique. Les chats nécessitent plus de place, plus d’entretien, coûtent plus cher et n’apportent généralement pas de plus-value scientifique aux tests.
Des statistiques publiées par Elif Stepman, chercheuse à l’Université de Gand (Belgique) et auteur en 2016 d’un rapport intitulé « L’utilisation des chiens et des chats dans l’expérimentation animale en Belgique », parlent d’elles-mêmes. En effet, parmi toutes les recherches effectuées sur des chats cette année-là dans le pays, 95% l’ont été par des établissements universitaires : seules 5% des expériences sur les chats étaient à attribuer à des laboratoires appartenant à l’industrie pharmaceutique.
Par ailleurs, que ce soit dans les universités ou les entreprises, 72% des études sur les chats étaient axées sur cet animal. Autrement dit, dans une large majorité des cas, leur objectif était d’aboutir à un résultat profitable en premier lieu à l’espèce féline.
En outre, parmi l’ensemble des expériences menées sur des chats, 60% visaient le développement de médicaments ou d’appareils appliqués à la médecine humaine comme vétérinaire. 32% relevaient de la recherche fondamentale, c’est-à-dire centrée sur l’acquisition de nouvelles connaissances. Les 8% restants correspondaient à un usage pour des tests de toxicité, le développement d’outils de diagnostic (par exemple des tests d’imagerie) ou encore l’enseignement.
Ces différents constats effectués à partir de la Belgique semblent également trouver à s’appliquer dans d’autres pays. Par exemple, en Suisse, les statistiques publiées par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) montrent qu’en 2020 plus des deux tiers des expériences menées sur les chats ont été conduites par des universités.
Si ces éléments n’effacent pas toutes les questions éthiques que soulève l’expérimentation animale, ils permettent toutefois de mettre les choses en perspective quant à l’utilisation des chats à des fins scientifiques : dans la plupart des cas, il s’agit avant tout d’étudier des pathologies félines ou de tester des traitements ayant pour but de guérir les chats eux-mêmes. Cela dit, on ne pourrait pas en dire autant des espèces les plus employées dans ce cadre (souris, rats, poissons...).
La très grande majorité des animaux de laboratoire sont des rongeurs, en général des souris ou des rats. En plus d’être de bons modèles de recherche, ils sont faciles et peu coûteux à trouver, à élever et à entretenir - d’où leur prévalence dans le milieu. Dès lors, on pourrait presque se demander pourquoi certains chercheurs utilisent quand même des chats…
En premier lieu, il ne faut pas perdre de vue que la plupart des recherches effectuées sur les chats ont justement pour but d’étudier voire de soigner des pathologies félines. Il paraît donc logique de les utiliser comme sujets sur les maladies qui les concernent.
Néanmoins, plusieurs autres arguments font aussi de cet animal un cobaye de choix pour certaines recherches portant sur d’autres espèces que lui…
Tout d’abord, son utilisation n’est pas réglementée aussi fermement que celle des primates.
Ensuite, même si ce n’est pas autant le cas que par exemple les souris, les chats restent faciles à trouver et à élever. En outre, travailler avec eux ne présente pas de problématique logistique majeure.
Enfin, comme l’évoque notamment l’article « Domestic Cats as Laboratory Animals » publié en 2002 dans la revue scientifique Laboratory Animal Medicine, le chat est également un bon modèle de comparaison avec l’humain dans plusieurs domaines :
Un animal de laboratoire est défini comme étant un animal vivant en captivité dans un laboratoire et étant utilisé à des fins scientifiques.
Au sein de l’Union Européenne, la directive 86/609/CEE de 1986 concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques stipule que ces animaux doivent provenir d’élevages spécialisés. Toutefois, des polémiques sur la provenance des animaux de laboratoire font régulièrement surface, rappelant qu’il y a parfois un fossé entre la théorie et la pratique.
Cela étant, il faut savoir que les sujets utilisés dans le cadre de recherches ne sont pas tous des chats de laboratoire. En effet, même si ce cas de figure est minoritaire, de nombreux petits félins domestiques participent à des expériences ou des essais sur des médicaments vétérinaires sans même quitter leur domicile. Les chercheurs utilisent aussi parfois des chats de refuge pour certaines expérimentations, sans que ceux-ci soient maintenus en captivité au sein du laboratoire.
Ainsi, contrairement par exemple aux rongeurs et poissons utilisés par les laboratoires, chat cobaye ne signifie pas obligatoirement chat captif : la réalité est plus complexe et variée qu’on ne pourrait le croire au premier abord.
Le devenir des chats de laboratoire une fois qu’on n’a plus besoin d’eux n’a rien d’enviable. Selon les statistiques du rapport rédigé en 2016 par la chercheuse à l’Université de Gand Elif Stepman, intitulé « L’utilisation des chiens et des chats dans l’expérimentation animale en Belgique », environ la moitié des chats utilisés cette année-là ont été euthanasiés au terme des travaux, car leur maintien en vie était jugé impossible ou « ne favorisant pas leur bien-être ». Cette proportion semble considérable, eu égard aux réglementations qui ont précisément pour objectif d’éviter autant que possible une telle issue.
Pour les autres, deux options : la réutilisation ou l’adoption.
Il arrive que les chats et autres animaux utilisés par un laboratoire puissent par la suite être à nouveau employés dans un cadre similaire, dès lors bien sûr que leur état le permet. Cette pratique n’est toutefois généralement possible que sous certaines conditions.
En France, l’article R214-113 du Code rural stipule ainsi qu’un animal de laboratoire peut être réutilisé en fin d’étude pour d’autres expériences si le meneur de la recherche obtient l’avis favorable d’un vétérinaire et si certains critères sont respectés.
En Belgique, l’arrêté royal du 29 mai 2013 prévoit les mêmes modalités qu’en France, et pour cause : il s’agit de la transposition de la directive européenne de 2010 (2010/63/UE). On retrouve donc les mêmes règles dans l’ensemble des pays de l’Union Européenne.
En Suisse, l’ordonnance sur la protection des animaux du 23 avril 2008 prévoit que l’autorisation délivrée par les autorités pour chaque projet de recherche utilisant des animaux puisse fixer des conditions concernant une éventuelle réutilisation de ces derniers.
Au Québec, la pratique est encouragée selon les principes de 3R (afin de réduire le nombre d’animaux utilisés), mais n’est encadrée par aucun texte officiel.
Si certains chats ayant servi pour des travaux de recherche sont ensuite employés à nouveau pour des expérimentations, d’autres sont plus chanceux : ils rejoignent de nouveaux propriétaires et sortent ainsi de cet univers si particulier – parfois le seul qu’ils aient connu depuis leur plus jeune âge.
En France, l’association GRAAL est spécialisée dans la réhabilitation de chiens et chats de laboratoire. À l’issue des expérimentations, les laboratoires volontaires la contactent : elle propose alors à l’adoption ces animaux aux besoins particuliers et les place en attendant dans des refuges partenaires. Les adoptants potentiels sont informés des expériences pratiquées sur le chat auquel ils s’intéressent, et de précieux conseils spécifiques à chaque individu leurs sont dispensés par l’association, pour maximiser les chances que l’adoption soit réussie.
En effet, les animaux réhabilités requièrent une phase d’adaptation souvent plus longue que ceux par exemple qui avaient une vie normale et ont atterri un jour dans un refuge : en dehors du quotidien d'un laboratoire, tout ou presque leur est inconnu. Par exemple, même s’ils sont généralement habitués au contact avec l’humain, ils ne connaissent pas la vie en appartement ou en maison, et beaucoup de stimuli du quotidien (bruits, odeurs…) sont nouveaux pour eux. Cela dit, en dehors de cette période transitoire généralement plus longue que la moyenne, l'adoption d’un chat de laboratoire est très similaire à celle d’un chat de refuge.
Il n’existe pas d’équivalent de l’association GRAAL en Belgique, en Suisse ou même au Canada. Toutefois, l’adoption des chats et chiens de laboratoire qu’elle prend en charge est ouverte aux Belges et aux Suisses qui sont prêts à faire le déplacement pour aller chercher leur nouveau protégé.
La pratique de l’expérimentation animale révolte les militants, déroute le grand public, divise les scientifiques, et fait (ré)agir les politiques. En effet, la question du bien-être animal prend de plus en plus d’ampleur un peu partout dans le monde, et les réglementations se durcissent en conséquence.
Il n’existe toutefois à l’heure actuelle aucune solution alternative miracle, c’est-à-dire qui serait efficace et susceptible d’être utilisée dans tous les cas de figure. Il faut néanmoins espérer que les progrès scientifiques se poursuivront, et finiront par rendre bientôt l’utilisation d’animaux de laboratoire totalement obsolète.
En attendant, les amoureux des chats peuvent au moins constater que ceux-ci sont très loin d’être des animaux de choix dans le domaine : tant en comparaison de plusieurs autres espèces que par rapport à leur population totale, ils ne sont qu’extrêmement peu utilisés.